dimanche 19 octobre 2014

Communisme Français, d' échec en échec...

Trente ans plus tard : 1984, la crise du Parti communiste français

Trente ans plus tard : 1984, la crise du Parti communiste français
 
Roger Martelli publie L’Occasion manquée – Eté 1984, quand le PCF se referme, sur un épisode crucial de l’histoire de la gauche en général – et du Parti communiste en particulier. Laurent Lévy le commente au travers de sa propre lecture des événements.

On dira que chacun voit midi à sa porte ; et que si ce livre me semble si passionnant, c’est peut-être parce que l’époque dont il parle est précisément celle où j’ai quitté le PCF. C’est celle aussi où l’auteur, avec d’autres, s’est lancé dans la dissidence du courant que l’on a d’abord appelé les "rénovateurs", puis les "reconstructeurs", puis enfin les "refondateurs", la plus longue et sans doute la plus importante des dissidences internes qu’ait connu ce parti. Et peut-être que si je ne m’étais pas trouvé, en province, à l’écart de ce mouvement, je l’aurais rejoint. Mais je crois qu’il y a, bien au-delà de simples considérations biographiques, un grand intérêt à se retourner sur cette période cruciale. Et si Roger Martelli annonce dans son introduction que l’histoire ne livre pas de leçons, il administre par son ouvrage la preuve que ce n’est pas si vrai que ça.
Historien, Roger Martelli nous plonge dans les archives du Parti communiste – désormais ouvertes et publiques – et annexe à son travail plusieurs documents, dont certains inédits. Militant, il nous fait partager ses réflexions, celles de cette époque, qui sont celle d’un acteur de la période (il était alors un jeune membre du Comité central du PCF), et celles d’aujourd’hui qui sont celles d’un homme qui n’a pas renoncé, en rompant avec le PCF, à la perspective émancipatrice du communisme. Ce livre comporte ainsi dans ses annexes le témoignage vécu de l’auteur.

En creux, une actualité brûlante

Je ne reprocherai pas à Roger Martelli les choix qu’il a effectués dans la conception de ce livre. C’est toujours trop facile de dire « ceci n’est pas le livre que j’aurais aimé lire ». L’auteur est seul maître de ce dont il veut parler. Je n’en regrette pas moins que la période couverte soit si brève, dans la mesure où les piétinements stratégiques du PCF au cours de cette période (celle, en gros, du "tournant de la rigueur") ne me semblent compréhensibles que si l’on remonte (au moins) à la rupture de l’union de la gauche à l’automne 1977 (date à partir de laquelle le PCF n’a plus jamais été capable, jusqu’à ce jour, d’une quelconque élaboration stratégique).
Je regrette aussi la focale (presque) strictement limitée aux questions de direction, aux débats qui ont agité la direction du PCF, sans l’élargir aux questions qui traversaient l’ensemble de la société ou même le mouvement syndical. Mais ces questions ne sont pas absentes des débats de direction. Au demeurant, comme Roger Martelli l’écrit lui-même dans son introduction, l’histoire du PCF (en ce incluse l’histoire de cette époque) reste à faire, et son propos, s’il y contribue d’une manière indiscutablement utile, n’est pas pour autant de combler cette lacune. Ces regrets n’enlèvent donc rien à l’intérêt de l’ouvrage. Un ouvrage d’autant plus passionnant aujourd’hui que l’on y retrouve en creux certaines questions qui demeurent d’une actualité brûlante dans toute réflexion stratégique sur la recherche d’une alternative.
Le déroulement et l’état de la réflexion interne à la direction du PCF est donc décrit dans une première partie du livre. Une seconde est constituée de réflexions d’ordre général sur la place du communisme dans la vie politique française et sur ses destinées. Roger Martelli y reprend inlassablement une question à laquelle il a déjà consacré de nombreuses pages – et quelques livres. Une saine obsession à comprendre, à analyser, et à critiquer au sens le plus général de ce mot ce qui se joue dans l’histoire du communisme politique. Les annexes proposées viennent éclairer l’ensemble du propos : témoignage, extraits de résolutions du bureau politique du PCF, d’interventions dans les débats du comité central, de réflexions publiées alors dans la presse du PCF.
Le titre du livre, L’Occasion manquée, ne doit pas trop être pris au pied de la lettre : l’article défini n’est pas là pour cacher que, dans son histoire séculaire, le PCF a « manqué » d’autres « occasions » de se renouveler. Roger Martelli les évoque brièvement, mais avec insistance, depuis le « retard de 1956 », formule dont il est à l’origine et qui lui avait valu l’attention de la direction, et jusqu’à son accession au Comité central, jusqu’aux divers moments où, devant une bifurcation possible, la direction du PCF avait marqué le pas.

De l’union populaire à l’échec du programme commun

Sans prétendre se substituer aux nécessaires travaux historiques à venir, rappelons quelques données sur la période qui précède. En 1984, il y a déjà sept ans que la direction du PCF navigue à vue. Cela n’a pas cessé depuis. Sa dernière élaboration stratégique date de 1968, avec le Manifeste de Champigny, aboutissement d’une démarche initiée dès 1962, et qui trouve ses premiers linéaments dans les années qui précèdent : c’est la stratégie de l’union populaire, fondée sur un principe d’alliance avec un Parti socialiste alors minoritaire à gauche, pour la construction d’une « démocratie avancée ouvrant la voie au socialisme ». Le point d’orgue de cette ligne stratégique est la signature en 1972 d’un programme commun de gouvernement avec le Parti socialiste, programme bientôt ratifié par le petit Parti radical de gauche. Georges Marchais explique alors, dans un texte qui ne sera rendu public que quelques années plus tard, que la réussite de cette stratégie suppose la multiplication des luttes de masse, et qu’un gouvernement d’union populaire ne pourra "réussir" que soutenu par un puissant mouvement populaire.
Cette stratégie a été précisée et prolongée jusqu’au XXIIe congrès de février 1976, qui en marque déjà les limites et les contradictions et à certains égards commence à s’en écarter. On se rappelle ce XXIIe congrès comme celui de "l’abandon" de la dictature du prolétariat (en réalité absente du discours du PCF depuis 1968, où le Manifeste précité ne lui consacrait qu’une phrase en peu contournée), mais on n’a guère remarqué qu’il est aussi celui où l’union populaire disparaît elle aussi du vocabulaire.
Elle est concrètement, mais sans le dire, abandonnée en septembre 1977 avec la rupture de l’union de la gauche, alors que le Parti socialiste a dépassé, en termes de rapports de forces électoraux, le PCF. Les élections législatives de 1978, qui devaient en toute logique conduire à la victoire de la gauche sur la base de ce qu’il restait du programme commun, sont un échec. Et le débat s’enflamme dans le Parti communiste sur la question des responsabilités de cet échec. La doxa alors adoptée est qu’il est inutile de trop en débattre. Quoi qu’en disent quelques « intellectuels assis derrière leurs bureaux » (dixit Georges Marchais), la responsabilité exclusive de cet échec incombe au Parti socialiste. Quiconque, dans le parti, parle de quoi que ce soit, fût-ce de la pluie et du beau temps, sans dire que « c’est la responsabilité du Parti socialiste » est immédiatement mis à l’index. Rien de ce qu’il pourra dire ultérieurement ne fera plus jamais l’objet de la moindre attention.
Les conditions du débat interne – qui n’avait jamais été d’une richesse extraordinaire – deviennent proprement intenables. Mais cette "crise" n’affecte que certains secteurs du Parti communiste, essentiellement parmi ses intellectuels. C’est l’époque où Louis Althusser publiera dans Le Monde deux séries d’articles qui feront la matière de ses deux petits livres, XXIIe congrès, et Ce qui ne peut plus durer dans le Parti communiste. La direction, pour l’essentiel, y échappe.

Fuite en avant et "catastrophe" de 1981

Toute cette période avait parallèlement été celle l’eurocommunisme : une petite musique mal maitrisée au PCF, qui tâchait de donner cohérence à la "nouvelle" conception du socialisme démocratique et de la voie démocratique originale pour y parvenir, à travers un progressif mais réel détachement du communisme soviétique.
En 1979, se tient le XXIIIe congrès dans cette nouvelle configuration. Il y a bien là une tentative d’élaboration stratégique nouvelle, avec la mise en avant, pour la première fois, et pour une brève période, du thème de l’autogestion. Le "titre" du congrès est L’Avenir commence maintenant. D’une certaine façon, il s’agit de remplacer une stratégie essentiellement fondée sur les questions électorales, avec leur calendrier et leurs nécessaires alliances, par quelque chose de nouveau, mieux ancré dans les luttes quotidiennes. Mais l’absence d’un débat approfondi à la suite des élections de 1978 pèse lourd sur un congrès qui se tient dans l’immédiat après-coup. Et la tentative d’élaboration tourne court.
Très vite, c’est la fuite en avant. Entretemps – c’est un détail qui a son importance – Jean Kanapa, qui était le grand maître d’œuvre de l’eurocommunisme en France, le principal collaborateur de Georges Marchais, est prématurément disparu. Pour la direction du PCF, l’échec de la gauche en 1978 marque une fin de cycle. Elle n’imagine pas de rebondissement rapide. La configuration de l’élection de 1981 la prend un peu de cours sur ses deux volets essentiels, lorsqu’il s’avère, à l’issue du premiers tour que le PCF connait un relatif effondrement de son électorat (Georges Marchais "tombe" à 15,7 %... catastrophe tellurique tout à fait imprévisible, dont les militant-e-s du PCF ne se consolent qu’en se disant que le fond est atteint, et qu’on ne pourra jamais tomber plus bas) et que François Mitterrand apparaît comme un vainqueur possible pour le second tour. Cette dernière hypothèse, dans les rapports de forces à gauche ainsi reconfigurés, semble catastrophique pour la direction du PCF, dont l’essentiel de l’activité depuis quatre ans consiste à dénoncer le « virage à droite » du Parti socialiste.
Ici prend place la misérable opération de cette direction ayant consisté, tout en appelant à voter Mitterrand au second tour, à tenter de faire en sous-main une campagne "interne" pour faire voter Giscard afin d’éviter la catastrophe. Cette opération, dont les contours sont aujourd’hui bien connus, fait naturellement long feu. Non seulement la totalité des électeurs de Georges Marchais, mais la quasi-totalité des militant-e-s du PCF, reportent massivement, avec ou sans enthousiasme, leurs voix sur François Mitterrand, élu le 10 mai 1981. Retour de bâton. Pendant plus d’un mois, le PCF mènera campagne pour que des ministres communistes entrent au gouvernement. Au terme des négociations qui suivent les élections législatives, ils seront quatre : Charles Fiterman, Anicet Le Pors, Marcel Rigout, et Jack Ralite.

Vers le "tournant de la rigueur"

On fera semblant de croire que la victoire de François Mitterrand est celle du "programme commun", pourtant mort et enterré depuis quatre ans. C’est méconnaitre l’ensemble de l’évolution politique des années qui précèdent. Mitterrand a été élu sur un certain nombre de propositions qui sont très en retrait de ce programme (que l’on pourrait relire aujourd’hui en s’étonnant de son caractère réellement avancé). Il a surtout été élu pour « battre Giscard », pour mettre fin au règne ininterrompu de la droite depuis le commencement de la Ve République en 1958. Dans la mémoire collective, la gauche n’a jamais gouverné depuis la Libération. 1936 et 1945 restent des références politiques parlantes. Cela suscite de très grands espoirs : qu’il soit mis fin à la crise, permanente depuis 1973, que le sort des gens s’améliore. Et pour les plus avancés, qu’une issue non capitaliste soit dessinée.
Cela dit, force est de constater que le nouveau gouvernement mènera, pour un peu plus d’un an, une véritable politique "de gauche". Ce sont d’abord les nationalisations qui, si leur ampleur et leur configuration sont assez éloignées de ce pourquoi militait le parti communiste, portent un coup réel à la domination du grand capital sur l’économie et sur la société. Ce sont les lois Auroux, qui accroissent considérablement les droits des salariés dans les entreprises. C’est la réforme territoriale et la décentralisation du pouvoir. C’est la semaine de 39 heures. Georges Marchais déclarera même, sans que cela soit ridicule, que les réformes de 1981-1982 auront apporté plus aux travailleurs que celles de 1936 et de 1945. Le tout dans une atonie préoccupante de ce que l’on n’appelle pas encore le "mouvement social", atonie favorisée, à rebours de la stratégie affirmée en 1972, par l’attitude des ministres communistes – Charles Fiterman, par exemple, alors ministre d’État, ministre des Transports, dissuadant en permanence la CGT d’engager des luttes significatives à la SNCF. Des grèves éclateront bien, en particulier dans l’industrie automobile, mais aucun mouvement d’ampleur ne verra le jour.
Quoi qu’il en soit, dès 1983, c’est ce que l’on appellera le "tournant de la rigueur". Le poids pris dans l’entourage de François Mitterrand par des responsables socialistes qui n’ont jamais approuvé le programme commun, comme Michel Rocard ou surtout Jacques Delors, se fait de plus en plus pressant et devient irrésistible. La fameuse « pause dans les réformes » imposée par Blum en 1937 connait une répétition. C’est Jacques Delors qui l’exige. Le contexte international, l’inflation persistante, la vague montante du néolibéralisme dans tout le monde capitaliste, tout cela fait céder les maigres digues "de gauche" du gouvernement.
La direction communiste est manifestement désorientée par cette situation nouvelle. Elle critique le "tournant" tout en restant fermement à la fois au gouvernement et dans la majorité parlementaire. Aux sarcasmes de Mitterrand qui affirme qu’on ne peut pas avoir « un pied dedans et un pied dehors », Georges Marchais répond avec constance que le PCF a bien les deux pieds dans le gouvernement. Le PCF va jusqu’à lui voter la confiance au Parlement – alors que la confiance est, depuis un moment déjà, à tout le moins bien entamée. Les ministres communistes ne contribuent pas peu à ce choix. Mais lorsque, en 1984, intervient la formation d’un nouveau gouvernement, dirigé par Laurent Fabius, et dont la feuille de route est de mettre en musique, à marche forcée, le cours nouveau de la politique gouvernementale, le PCF, après avoir tenté d’obtenir un grand ministère économique dans ce gouvernement, opte devant le refus ferme de François Mitterrand pour ne pas y entrer. Au grand soulagement des militant-e-s, profondément remonté-e-s contre le pouvoir en place et qui, depuis le "tournant", sont très nombreux-ses à ne pas comprendre le maintien de leur parti dans ce gouvernement.
J’ouvre ici une parenthèse personnelle. C’est précisément à cette époque que j’ai su que j’allais quitter ce parti, où je militais depuis dix ans, depuis l’âge de dix-huit ans. La position – parfaitement inaudible – que je défendais depuis 1983, depuis l’injonction de Mitterrand à faire dire au PCF s’il était « dedans » ou « dehors » (de la majorité), son affirmation qu’on ne pouvait pas avoir « un pied dedans, un pied dehors » appelait pour moi une réponse différente de celle donnée par la direction du parti. Une réponse plus dialectique : nous devions justement assumer cette position, « un pied dedans, un pied dehors », rester dans le gouvernement sans en rabattre sur nos critiques et en développant les actions de masse, quitte à nous faire virer. Nous ne devions pas prendre l’initiative de la rupture, mais l’assumer en cas de besoin. À trente ans de distance, je ne suis pas convaincu que j’avais tort. Mais toute discussion était assimilée à la critique sous la pression de l’adversaire, et devenait impossible. Fin de parenthèse.

1984, la tempête

Entretemps étaient survenues les élections européennes de 1984. Une lourde défaite pour la gauche dans son ensemble, mais plus encore pour le PCF, dont la chute spectaculaire, avec seulement 11% des suffrages, n’avait une nouvelle fois pas été anticipée. C’est ce résultat électoral qui déclenche la tempête, tempête au cours de laquelle de nombreuses questions en suspens ressortent dans le débat.
L’une des caractéristiques de ce scrutin, pour la première fois dans l’histoire électorale de ce pays, est le très fort taux d’abstentions, surtout dans l’électorat populaire, dans celui de la gauche, dans celui du Parti communiste. Avec des hauts et des bas, c’est l’amorce d’une tendance qui ne se démentira plus. L’adhésion populaire aux thèmes de la gauche marque le pas. Deux ans plus tard, ce sera la défaite de la gauche aux élections législatives, la première "cohabitation", et le début d’un cycle infernal où les "alternances" se succèdent sans qu’aucune alternative véritable ne parvienne à émerger.
L’analyse de ce résultat et le choix de ce qui doit être fait dans cette conjoncture s’avère très difficile pour la direction, profondément désorientée, du PCF. C’est là le cœur du livre de Roger Martelli. Claude Poperen, membre du Bureau politique, dirigeant du parti dans la "forteresse ouvrière" de Renault-Billancourt, est chargé de préparer le rapport qui sera présenté au Comité central. Mais ce projet – fait sans doute unique dans les annales – est rejeté par le Bureau politique. Poperen doit revoir sa copie, ce qu’il fait sans enthousiasme. Et pour la direction, la réunion du Comité central tourne à la catastrophe. Le premier intervenant après le rapport "révisé" de Claude Poperen n’a jamais rien eu d’un oppositionnel. Il a la confiance et l’admiration de tout le parti. Il est considéré (même si Roger Martelli précise que c’est « à tort ») comme le "philosophe officiel" du PCF. C’est Lucien Sève. Il ne mâche pas ses mots. Pour lui, la situation exige la « refondation » du communisme.
Les vannes sont ouvertes. De nombreuses voix "critiques" s’expriment. Roger Martelli donne une description de ce débat au plus haut niveau de la direction du PCF. Il montre aussi le trouble de la hiérarchie. Georges Marchais, encore assommé par le coup reçu aux européennes (il conduisait la liste du PCF), ne sait pas saisir la balle au bond. Roger Martelli esquisse en quelques touches éparses le portrait contradictoire du secrétaire général, à mille lieues de la caricature dans laquelle il s’est laissé enfermer, très significatif, justement dans ses contradictions, de ce qu’était alors la réalité de l’état-major central du PCF. Mais ce qui va dominer est la fermeture. Le sous-titre du livre de Roger Martelli, « quand le PCF se referme », illustre parfaitement la chose.

Le débat stratégique évacué

Tout en appelant formellement au débat le plus large et le plus ouvert, le Bureau politique fait tout pour enfermer cette discussion dans les limites de l’acceptable. Il craint les « pressions » de l’extérieur sur les discussions internes du parti. Il se persuade de l’existence d’un « complot » liquidateur. Il dénonce des « fuites » relatives aux discussions des organismes de direction (Comité central et Bureau politique). Il se refuse à assumer le caractère public de la discussion en cours. Il insiste sur la fonction « pédagogique » des dirigeants, chargés de « faire partager » aux militant-e-s la « ligne », pourtant bien peu claire, de la direction. Mais cette direction est désormais divisée. Au congrès suivant, si l’on maintiendra au Comité central les plus emblématiques des voix critiques, on éliminera tout ce qui peut l’être sans faire trop de bruit. Roger Martelli explique qu’il ne devra sans doute quant à lui sa réélection au Comité central qu’au fait qu’il n’a pas eu le temps matériel, lors de cette fameuse réunion, de prononcer l’intervention qu’il avait préparée…
Parmi les questions posées se trouve, pour la direction du Parti communiste, les plus lancinantes et les plus taboues : à quoi sert le Parti communiste ? Y a-t-il une place pour le communisme politique dans la société française ? Les structures du parti sont-elles adaptées à son projet politique ? La disparition du parti est-elle inexorablement inscrite dans le mouvement de l’époque ? À toutes ces questions, il est en définitive répondu avec une fermeté qui ne supporte pas la contradiction.
En 1984, le spectre de la "liquidation" inquiète au premier chef la direction du parti. On réaffirme la nécessité de faire bloc contre un adversaire à deux têtes : la réaction et le Parti socialiste. On réaffirme la pertinence du "centralisme démocratique" (quoi que l’on puisse ironiser sur le caractère démocratique du centralisme en cause). On dénonce toute mise en cause de l’autorité du secrétaire général. L’identité "révolutionnaire" du parti doit être maintenue et réaffirmée. C’est dans ce contexte que le nécessaire débat stratégique est évacué. Sur un de ces points l’évolution ultérieure du Parti communiste démentira les choix d’alors. Initiée par Georges Marchais, la disparition effective du "centralisme démocratique" n’attendra pas dix ans. Et la question de la survie ou de l’agonie – une agonie qui peut durer longtemps – du Parti communiste reste posée.
L’histoire ne se répète jamais, même s’il peut lui arriver de bégayer. Mais cette incapacité à réagir en présence d’une forte abstention et d’un effondrement de la gauche alors qu’elle est au pouvoir n’est pas sans rapport avec bien des débats contemporains. Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Le paysage politique d’aujourd’hui est tellement différent de ce qu’il était alors que les rapprochements et comparaisons peuvent avoir quelque chose d’hasardeux. Pourtant, ces débats nous parlent, quels que soient nos parcours personnels et la façon dont on a pu, pour les plus anciens (comme le temps passe !), les aborder, ou pas, à l’époque. Ne serait-ce que pour ça, le travail de Roger Martelli doit être lu. Et discuté.  
Laurent Levy

vendredi 3 octobre 2014

Comment les PCF et la CGT ont toujours trahi le peuple (2/5) : Quand le PCF "lutte" pour le colonialisme , contre la révolution algérienne.

1958
Source : numéro 82 de Quatrième Internationale, avril 1958, précédé de l'introduction suivante :
« Récemment une discussion s'engagea entre des journaux du F.L.N. et des journalistes de gauche français. La direction du P.C.F. intervint dans cette discussion, apparemment pour soutenir le F.L.N., en réalité par simple manœuvre. Le spécialiste des questions coloniales du P.C.F., Feix, osa affirmer que la direction de son parti avait la conscience tranquille sur ces questions. La Fédération de France du F.L.N. publia alors le document que nous reproduisons ci-dessous. C'est le plus accablant réquisitoire venant de nationalistes contre une direction stalinienne. Vous affirmez des principes, lui disent-ils, mais vous ne les avez pas appliqués. La démonstration sur ce point est péremptoire et la direction du P.C.F. s'efforce de faire le silence à ce sujet. C'est un texte que doit lire chaque membre du P.C.F. Quant aux raisons d'un tel piétinement des principes, il faut bien entendu les rechercher en premier lieu dans les objectifs de la politique de la bureaucratie soviétique. »



Fédération de France du F.L.N.



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Ce texte que nous soumettons à l'opinion française est plus une mise au point qu'une critique négative ou passionnelle du Parti Communiste Français, eu égard à sa politique algérienne.
Il est de notre devoir de préciser un certain nombre de points d'ordre historique et politique, sur lesquels le P.C.F. n'a pas eu jusqu'ici le comportement que lui commande le principe dont il se réclame : le soutien inconditionnel de la lutte des peuples opprimés contre l'impérialisme.
Face aux affirmations des dirigeants du P.C.F, il était devenu nécessaire, indispensable, de situer les responsabilités qui pèsent sur leurs épaules dans la démobilisation des couches sociales qu'ils contrôlent ou influencent.
En mettant en relief la non-concordance entre l'action et la pensée politique, entre la pensée politique et la réalité des faits, qui caractérise le comportement du Parti Communiste Français, face à la Révolution Algérienne, nous avons conscience d'aider les travailleurs français à mieux comprendre la nature profonde du conflit franco-algérien. Car en définitive, l'attitude du peuple français dans ses composants ne sera pas sans conséquences sur les rapports futurs entre l'Algérie et la France.
* * *
La parution dans « France-Observateur » d'articles tirés du « Moudjahid » et d'un article de Jean Amrouche, a été le prétexte pour le P.C.F. de justifier à nouveau sa politique algérienne. Un article d'Elie Mignot dans « France Nouvelle » a ouvert le feu. La semaine suivante, parut dans le même organe un article de Léon Feix, membre du Bureau politique et « spécialiste » des questions coloniales. Le texte commence par une benoîte critique à l'égard de Jean Amrouche, auquel Léon Feix reproche d'avoir oublié « que les amis naturels des peuples coloniaux sont la classe ouvrière de la métropole et son parti ». Reprenons donc les positions du P.C.F., que nous ne saurons confondre avec la classe ouvrière française et voyons comment cette ligne de référence qu'est la solidarité avec les peuples opprimés entre dans les faits.
En Janvier 1956 et jusqu'au 12 Mars un espoir soulevait le peuple algérien devant la prise de conscience du peuple français et ses actions courageuses (manifestations de la Gare de Lyon, Rouen, Grenoble, etc.).
L'attitude des rappelés semblait infirmer le pessimisme de ceux qui évoquaient 1937 et l'interdiction de l'Etoile Nord-Africaine, ou 1945 et les massacres du Constantinois. La suite des événements devait montrer que les appareils politiques qui encadrent et dirigent la classe ouvrière n'ont rien appris de l'histoire et savent toujours maîtriser les élans qui pouvaient faire de la solidarité entre la classe ouvrière et les peuples coloniaux une réalité vivante et durable. Le 12 mars 1956, le P.C.F., qui ne voulait pas sacrifier « le Tout » à savoir l'alliance avec les socialistes dont « l'anti-colonialisme » s'est manifesté tout au long de la guerre d'Indochine, et en la personne des fonctionnaires d'Afrique tels Naegelen, Béchard...) à la « Partie », c'est-à-dire la lutte contre la guerre d'Algérie, votait les pleins pouvoirs militaires. Une illusion prenait fin.

Rappel de quelques mots d'ordre :

Le 1er Novembre 1954, la Radio annonçait qu'une série d'attentats avait eu lieu en Algérie. La lutte armée commençait. Le 8 Novembre 1954, le P.C.F, publiait un communiqué dans lequel, suivant une démarche de pensée que nous retrouverons souvent, il reconnaît « qu'un problème de caractère national » se posait en Algérie (bel euphémisme) pour mieux faire passer le désaveu du mouvement. « Fidèle à l'enseignement de Lénine, y était-il écrit, le P.C.F. qui ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, si même ils n'étaient pas fomentés par eux, assure le peuple algérien de la solidarité de la classe ouvrière française dans sa lutte de masse contre la répression et la défense de ses droits ». Léon Feix, commentant cette déclaration dans un article (Cahiers du Communisme, Février 1955) l'éclaire de la façon suivante : « les communistes alertent la classe ouvrière et les masses sur ce qui risque de les faire dévier de leur objectif essentiel ou de les affaiblir dans leur lutte, notamment en tombant dans les pièges de l'adversaire ou en facilitant ses opérations de quelque manière que ce soit ». La plate-forme d'action proposée par le P.C.F. aux masses françaises montre son incompréhension totale du sens de notre combat.
Notre peuple unanime, délaissant les organisations anciennes se mobilise pour le droit à la vie en tant que nation et le P.C.F. avançait pêle-mêle comme mots d'ordre « la défense des revendications matérielles des travailleurs algériens (allocations familiales, etc...), la lutte contre la répression et pour l'amnistie ; le soutien des légitimes revendications à la liberté du peuple algérien. Passant à peu près complètement sous silence l'existence du front de Libération Nationale — son rôle dirigeant — l'appui que lui accordaient les masses, la presse communiste parlera des mois durant du combat des « patriotes algériens », de « négociations avec les représentants autorisés ». Par contre, on y lisait d'euphoriques déclarations sur le rôle du P.C.A., lequel, une politesse en valant une autre, reprenait en Algérie les mots d'ordre du P.C.F. Il y avait un dialogue : c'était celui des dirigeants du P.C.F. devant leur miroir.
Les élections du 2 Janvier 1956 eurent lieu. Elles furent ce que chacun sait : la traduction des possibilités qui existaient dans les masses françaises pour mener une lutte anticolonialiste. Le 2 Mars 1956, le Bureau politique du P.C.F. publie une déclaration qui sera à la base de la lutte du P.C.F. à un moment où il escompte sortir de l'isolement.
Nous sommes pour l'existence et pour la permanence des liens politiques, économiques et culturels, particuliers entre la France st l'Algérie... Il faut résolument changer de politique. Il faut vouloir rétablir la paix en Algérie. Il n'est pas d'autres moyens pour y parvenir que de négocier d'abord avec ceux contre qui on se bat, afin d'aboutir rapidement à un cessez-le-feu général dans des conditions librement débattues, à l'arrêt de la répression et à la libération de tous les emprisonnés. Cela permettrait l'ouverture de négociations locales entre le gouvernement français et les représentants de tous les courants du mouvement national, de toutes les couches sociales de la population algérienne, sans distinction d'origine.
Que contient un tel communiqué ?
  1. Des « liens durables ». Car, quelle meilleure façon de reconnaître le fameux « droit au divorce » sinon en mettant l'accent sur « l'union » ?
  2. « Un cessez-le-feu sans préalable politique ». En matière d'Algérie, le P.C.F. n'a pas la fermeté du Front puisque ce sont les intérêts du peuple algérien et ses aspirations qui sont en jeu.
  3. Une négation implicite de l'existence de « l'interlocuteur valable ». — Pas un mot sur le F.L.N. Bien mieux, une différenciation est faite entre les combattants avec qui on conclura un cessez-le-feu, et les représentants de tous les courants du mouvement national, qu'on se garde de nommer.
  4. Enfin, la revendication politique est exprimée par une de ces formules forgées avec un grand souci des nuances, et qu'on retrouvera dans tous les articles : « le fait national algérien ».
Les mois passent. La perspective du Front Unique s'éloigne. Le sacrifice de « la Partie » au « Tout » ne semble pas l'avoir fait avancer. Pis, il en a reculé l'échéance. 1957 sera l'année du compromis. En Octobre, au Cirque d'Hiver, Maurice Thorez déclare :
On sait que nous avons sur ce problème, une pensée claire : reconnaissance de la nation algérienne et de son droit à l'indépendance, discussion avec le peuple algérien pour établir des rapports nouveaux, librement négociés et profitables (sic) aux deux pays Mais nous ne demandons nullement aux autres partis de se ranger à notre point de vue. Il s'agit de nous mettre d'accord sur un programme acceptable pour tous. Il s'agit d'élaborer un compromis avantageux pour le pays.
Les dirigeants français refusent de négocier avec le F.L.N, — Qu'à cela ne tienne, le P.C.F. est un interlocuteur qui ne pose pas le préalable de l'indépendance. Aussi, propose-t-il une plate-forme dont le seul fruit sera de développer en France la croyance dans l'intransigeance des patriotes algériens. Car, enfin, qu'est-ce qu'un compromis, sinon un accord où chacun se propose d'abandonner quelque chose. Or, que se propose d'abandonner le P.C.F. en dehors du droit à l'Indépendance, droit sur lequel aucun patriote algérien ne transigera.

Les mots d'ordre et l'action

Les différents mots d'ordre lancés par le P.C.F. depuis le 1er Novembre 1954 et leur évolution en fonction du progrès de notre Révolution se sont traduits sur le plan de l'action par le refus de la lutte et par la négation dans les faits du soi-disant « soutien inconditionnel aux peuples coloniaux ». La solidarité à l'égard des travailleurs algériens émigrés en France a été à peu près nulle. Aucune manifestation, aucune action n'a trouvé un appui autre que verbal chez les organisations ouvrières. Contre la répression qui frappe chaque jour nos compatriotes, aucune lutte n'est organisée.
Certes, de ci-de là, la solidarité des travailleurs français se manifeste. Elle reste cependant individuelle et n'a jamais revêtu jusqu'à ce jour l'aspect d'une action organisée. Des exemples récents le prouvent. Des syndicalistes algériens sont arrêtés et transférés en Algérie. L'événement ne vaut que quelques lignes discrètes dans l'Humanité.
En 1955-1956, les manifestations ouvrières contre le départ des rappelés rencontrent une opposition sourde de la part du P.C.F. L'Humanité dénoncera les « gauchistes », les « provocateurs » de Grenoble ; n'appellera pas à étendre l'action, ne lancera aucun mot d'ordre aux soldats qui partent défendre les privilèges colonialistes, fera longtemps le silence sur le geste de ceux qui comme Liechti refusent de porter les armes contre notre peuple. Le vote des pouvoirs spéciaux est suivi d'un grand sommeil marqué par une aggravation constante de la guerre et de ses horreurs.
« Le vote des pleins pouvoirs est un capital qu'il faut faire fructifier » affirme sans rire L. Feix. La démobilisation qui en résulte de Mars 1956 à Octobre 1957 est le fruit amer de ce « capital ».
Les manifestations alibi du 17 Octobre 1957 montrent le recul de la prise de conscience des masses laborieuses françaises quant au problème algérien, recul consacré par l'échec encore plus grand de la « semaine de l'Algérie », lancée par la F.S.M. et reprise par la C.G.T.

Les fondements théoriques de la politique du P.C.F.

A) L'Union Française.

Le caractère premier de l'attitude du P.C.F, quant à la question coloniale est de clamer urbi et orbi que l'intérêt des peuples opprimés est de rester unis à leur métropole : « le droit au divorce n'entraîne pas l'obligation de divorcer » écrit Maurice Thorez qui conclut à la nécessité de l'union. Cette manière de voir trahit la sous-estimation, sinon le mépris des mouvements de libération dans les colonies, et l'intention de faire d'eux une force d'appoint des mouvements français. Avant guerre, l'union était nécessaire en Afrique du Nord, par exemple, à cause des « prétentions franquistes ou italiennes ».
Aujourd'hui, elle l'est à cause des « prétentions de l'impérialisme américain ». En 1945, en Syrie et au Liban, c'était l'impérialisme anglo-saxon qui justifiait les critiques contre le mouvement de libération. Si les contradictions entre l'impérialisme français et ses prétendus concurrents se résolvent toujours par la supériorité, pour les peuples coloniaux, de l'impérialisme français, alors, en effet, le droit au divorce disparaît, car ces contradictions ne disparaîtront qu'avec l'impérialisme colonisateur. Cela revient en fait à refuser aux colonies le droit à la séparation, donc à l'autodétermination. Que serait-il advenu aujourd'hui de la Syrie et du Liban s'ils avaient considéré qu'il était de leur intérêt de rester unis à la France ? Poursuivons l'analyse des textes du P.C.F. Dans son discours à l'Assemblée du 20 Mars 1957, L. Casanova résume clairement cette politique :
« Notre parti tient compte des données de fait complémentaires que voici, d'abord l'existence entre la France et l'Algérie de liens historiques concrets. Ensuite, la présence sur le sol d'Afrique, depuis plusieurs générations d'une population algérienne d'origine française et européenne dont les intérêts n'ont rien à voir avec le colonialisme. Enfin, l'assistance dont les peuples nouvellement émancipés ont besoin pour combler le retard que le régime colonial leur a imposé ». A partir de telles prémisses, le P.C.F. se prononce (Fajon 13-4-56) « pour l'existence de liens durables entre la France et l'Algérie dans l'ordre politique, économique et culture! au sein d'une véritable Union Française ». En 1956, dans les Cahiers du Communisme, L. Feix explicite les fondements doctrinaux de l'attitude du P.C.F. « Certains dirigeants nationalistes préconisent la fusion des trois pays au sein d'un Maghreb arabe ou musulman, lié à tous les pays arabes ou musulmans, depuis le Maroc jusqu'au Pakistan. C'est là une vieille idée de la Ligue arabe, reprise et impulsée par les milieux bourgeois dirigeants du Caire et de Karachi... Voilà longtemps que Lénine et Staline ont montré le caractère forcément réactionnaire des courants basés sur la race ou la religion. Il est tout naturel que les Algériens, les Tunisiens, les Marocains éprouvent les uns pour les autres des sentiments fraternels. Il est également naturel qu'ils éprouvent une grande sympathie pour les peuples du Proche et du Moyen-Orient, tant en raison de la communauté de religion et de la similitude de langue, que du soutien qu'ils ont reçu de ces peuples au cours de ces dernières années.
« Mais cela ne justifie pas une communauté politique contre laquelle jouent tant d'éléments historiques, géographiques, économiques et autres. Une autre voie est possible ou mieux, encore possible, pour les peuples d'Afrique du Nord : la voie de l'Union Française ». On ne saurait en si peu de lignes, mettre plus de contre-vérités historiques et d'aveuglemenl politique. Examinons le contenu réel de ces écrits,

1 — Les liens historiques concrets entre la France et l'Algérie

Quels sont-ils, sinon les liens créés par le colonialisme et si de tels liens peuvent justifier le refus à l'Algérie de se séparer de la France, dans ce cas, jamais une colonie ne doit se séparer de sa métropole, car ce genre de liens historiques existe entre toutes les métropoles et leurs colonies. Et s'il faut parier de liens historiques réels, qu'il nous soit permis d'évoquer ceux créés entre les trois pays d'Afrique du Nord par la communauté de langue et de culture, par la communauté de lutte aussi contre le colonialisme français. La comparaison entre le soutien des peuples marocain et tunisien à notre lutte et celui du peuple français montre dans les faits et non pas seulement en théorie quels sont nos principaux alliés naturels.

2 — L'assistance aux peuples nouvellement émancipés

Ainsi donc, le colonialisme oppresseur, à peine vaincu, se transformerait en tuteur loyal ? L'expérience de la Tunisie et du Maroc démontre chaque jour l'aberration de telles vues. Une colonie qui obtient son indépendance politique doit aussi assurer son indépendance économique. Pour ce faire, son intérêt est de n'être lié à personne, de n'utiliser les offres qu'en fonction de ses intérêts, « d'éviter les servitudes du tête-à-tête ». Quant aux « liens politiques » l'absence de contenu en fait une pure abstraction, à moins que le P.C.F. ne sous-entende (et dans ce cas, il faut le dire) des liens fédératifs.
Cette orientation, dont l'aspect chauvin et cocardier n'échappe à personne, si ce n'est à ses auteurs, fait appel à des notions équivoques et confuses, telles que « grandeur française », « intérêts légitimes ds la France ».
Ainsi s'exprime E. Fajon, qui fait du maintien de l'Algérie dans l'orbite française, « l'intérêt de la France, la garantie de son maintien au rang de grande puissance ». Ainsi s'exprime M. Thorez quand il présente les victoires des peuples opprimés comme autant de défaites de la France. « Il y a dix ans et plus que nous demandions l'institution d'autres rapports que les rapports coloniaux entre la France et les pays d'Outre-Mer. Notre voix pas été entendue et les résultats de la politique impérialiste ont été ce que chacun sait en Syrie et au Liban, puis au Viet-Nam, maintenant au Maroc ». Et il ajoute ces phrases qu'ont appréciées comme il convient nos confrères qui souffrent de la barbarie de la soldatesque française : « Heureusement que la grande masse de l'armée, les hommes du contingent, la majorité des sous-officiers et officiers et jusqu'à des généraux manifeste son indignation contre ces méthodes fascistes (il s'agit seulement des tortures). Même le général Navarre aujourd'hui proteste contre les besognes qu'on fait faire à l'armée ».

B) L'Algérie, nation en formation

Dans le cas de l'Algérie, la théorie de l'Union Française a été étayée de la théorie de l'Algérie, Nation en formation. Replacée dans son contexte historique, cette thèse devait servir de barrière contre le nationalisme et la revendication de l'indépendance. Pour mieux en comprendre le sens, reportons-nous au discours de M. Thorez, tel qu'il est publié dans ses œuvres complètes.

a) Contenu anti-historique

A la lecture de ce discours, il semble que l'Algérie soit une accumulation de différents peuples et races, aux apports d'importance égale. Aucun compte n'est tenu de l'influence de de la civilisation arabe, ni de ce qu'était notre pays en 1830. Une parenthèse amusante pour citer la manière dont sont caractérisés les Français d'Algérie : « des Français, et quels Français ! Les Français des terres françaises de Corse et de Savoie, ceux de la terre d'Alsace venus en 1871 pour ne pas être Prussiens »1.
L'ignorance de l'histoire de l'Algérie sert de fondement à une élaboration théorique. En 1830, l'Etat algérien existait, reconnu sur le plan international jusqu'en 1847. La conscience nationale s'est traduite par une résistance de plusieurs dizaines d'années, conscience semblable en bien des points à celle de l'Egypte de Mohammed Ali ou du Maroc de Sidi Abderrahmane. Nier la nation algérienne, c'est faire abstraction d'une unité territoriale, historique, linguistique, culturelle, que le colonialisme n'a pu détruire.
Aujourd'hui, il y a l'impérialisme français qui a conquis l'Algérie par les armes et de l'autre, une nation qui veut reprendre sa liberté par les armes.
Le problème reste celui de l'implantation d'une minorité européenne en aucune manière assimilée à la nation algérienne. Constater un tel état de fait, loin de déprécier les actes de certains Européens, les grandit. Assimiler une telle minorité au reste du peuple algérien, c'est se refuser de voir son caractère « petit blanc » et le profit qu'elle tire du statut colonial.
C'est lier le mouvement de libération au sort de cette minorité et l'obliger à attendre une fusion irréalisable dans le cadre colonial. L'existence d'une minorité met-elle en cause l'existence d'une nation ? Que les Français d'Algérie soient appelés à s'intégrer à la nation comme le propose le F.L.N. ou qu'ils coexistent comme une minorité étrangère, cela ne change rien à la réalité nationale algérienne.

b) L'assimilationnisme

« S'il est possible pour les Français en Alsace et en Lorraine d'avoir un statut religieux spécial... pourquoi l'ayant admis une fois dans l'esprit de l'unité française, ne pourrions-nous le consentir pour la même raison aux musulmans d'Algérie ? »

c) Le confusionnisme

« Unir tous les hommes qui veulent vivre libres... tous les Français de France et tous les Français d'Algérie, les Français naturalisés, les israélites et vous aussi les musulmans arabes et berbères, tous les fils unis par le sang, du moins par le cœur de la grande révolution française ».

d) Le recul devant l'exigence nationale :

« Nous reconnaissons le droit à la vie libre comme individu dans la collectivité aux Algériens, à tous les Algériens, français d'origine, arabes, berbères et juifs2. »

e) Le ridicule

« Il y a des citoyens français qui ont un statut personnel particulier. Je connais très bien un député noir sénégalais, le citoyen Galandou Diouf dont la presse parisienne nous a appris qu'il venait d'emmener à Paris sa plus jeune et sixième femme. Si pour le Sénégalais Galandou Diouf on peut être polygame et en même temps citoyen et député français, pourquoi cela ne serait-il plus possible pour les Musulmans d'Algérie ?... Pourquoi deux poids et deux mesures ? »
La théorie de la nation en formation reprise au lendemain du 1er novembre 1954, a servi à justifier les conseils contre l'action armée. En effet, comment l'approuver si on doute de son écho auprès des masses et comment croire à cet écho quand on juge la conscience nationale à partir de la minorité européenne et du progrès de la fusion entre les éléments ethniques vivant sur le sol national algérien ? L'histoire n'attend pas le bon plaisir des idéologues du P.C.F. pour briser les schémas inadéquats. Devant la vigueur du Mouvement de Libération, il devenait difficile de maintenir certains mythes. Et c'est ainsi que Maurice Thorez, qui soutint des années durant que, sans fusion entre Européens et Algériens, il n'y aurait pas de nation algérienne constituée, déclara le 15 Février 1957, la fusion réalisée et la nation algérienne constituée alors que la quasi totalité des Européens était unie autour des colonialistes.

Conclusions :

Un décalage entre l'action et la pensée politique d'une part, entre la pensée politique et la réalité des faits d'autre part, vient de ce que le P.C.F. assume purement et simplement la politique des blocs. Le P.C.F. n'hésite pas, et n'a jamais hésité à se transformer en force d'appoint des milieux politiques colonialistes ou néo-colonialistes quand ils sont d'accord avec lui pour un regroupement parlementaire sur certains objectifs de politique extérieure. L'histoire en fait foi. Aux dépens des coloniaux se sont réalisés :
  1. Le Front populaire, car il ne fallait pas mécontenter les radicaux-socialistes opposés à l'Allemagne... jusqu'en 1940.
  2. L'unité socialiste-communiste-gaulliste de 1945 à 1947 (Sétif, Madagascar, Haïphong).
  3. L'unité contre la C.E.D.3 dans le vote en faveur de Naegelen à la présidence de la République.
  4. La tentative d'unité autour de Guy Mollet en 1956 avec le vote des pouvoir spéciaux.
Aujourd'hui en 1958, on assiste à cette parodie où le P.C.F se lance contre la guerre atomique et fait de la lutte contre la guerre d'Algérie qui mobilise 600.000 hommes un objectif secondaire. Et M. Thorez, avec beaucoup de sang-froid, déclare : « le peuple de France aime la Paix ». Le P.C.F. veut se définir comme le parti anticolonialiste par excellence.
Les Algériens ont toute raison de croire que si l'unité s'était réalisée en 1956 (les communistes participant au gouvernement) leur pays aurait encore servi de monnaie d'échange. Les débuts de la guerre d'Indochine le prouvent. Jusqu'en Mars 1947, les communistes n'ont jamais empêché les crédits militaires de passer. Bien mieux, n'a-t-on pas vu J. Duclos s'incliner devant les souffrances et l'esprit de sacrifice « du corps expéditionnaire » (8 mars 1947). Il est vrai qu'à l'époque le colonialisme n'était pas pour monsieur Duclos « l'expression externe de rapports d'oppression internes, mais un système ayant ses bons et ses mauvais côtés ».
« Autant il est faux, déclarait-il à l'Assemblée Nationale le 18 mars 1947, autant il serait injuste de ne pas vouloir faire la part des choses et de ne pas marquer la différence qui s'impose entre les œuvres civilisatrices qui ont été accomplies dans les territoires d'Outre-Mer, et des œuvres moins civilisatrices, autant il serait injuste de nier qu'il y a eu des excès colonialistes ; s'il n'y en avait pas eu, pourquoi aurions-nous éprouvé le besoin de condamner le colonialisme dans notre Constitution ?... Je dis cela parce que c'est aussi une question de tact à l'égard des populations des territoires d'Outre-Mer.
« Il faut parler à ces populations un langage qu'elles peuvent comprendre. Il ne faut pas les accabler de tous les péchés et nous parer de toutes les vertus. Il faut faire, là aussi, la part des choses ». De telles variations oratoires laissent à penser quant au niveau idéologique de certains.
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Le juste combat du Peuple algérien pour son Indépendance est la plus belle manifestation de la Démocratie en action. A ce titre, il est une aide et un exemple pour tous ceux qui, à travers le monde, veulent vivre libres. Quelles que soient les incompréhensions des uns, les inconséquences des autres, notre glorieux peuple, animé et dirigé par le F.L.N., mènera la lutte jusqu'à son issue finale : l'instauration d'une République Algérienne Démocratique et sociale.
Notes
1Les Alsaciens ont été installés en Algérie sur des terres confisquées aux Algériens à la suite de l'insurrection nationale de 1871.
2Guy Mollet n'a rien dit d'autre dans son discours du 12 mars 1956.
3Communauté Européenne de Défense, projet de création d'une armée européenne dans le contexte de la guerre froide. La question est centrale au cours de l'élection à la présidence de la République de 1953. (Note de la MIA)