jeudi 24 avril 2014

Consolider l'Europe, Oui mais une Europe sociale, écologique et populaire...

Sortir de l’euro ? De l’Union ? (1/3 : les protagonistes à gauche)

Un vrai débat existe à gauche sur ces questions. Il prend parfois un tour regrettablement polémique, vu les fortes « personnalités » en présence, mais il oppose des gens qui, contrairement au FN, voteraient tous pour un projet d’Europe solidaire, sociale et écologique s’ils croyaient qu’un tel projet est à portée de main.
Certains d’entre eux pensent que, à défaut d’être à portée de main, cela reste un combat à poursuivre sans sortir de l’euro ni de l’Union (sauf en dernier recours, sous la contrainte d’une crise encore plus grave). D’autres pensent que c’est déjà fichu, illusoire, et qu’au fond on ne pourra reprendre un tel projet coopératif qu’après une période de retour aux Etats nations et aux frontières et monnaies nationales. La « démondialisation » qu’ils défendent supposerait aussi une « déseuropéisation ».
Je ne me suis pas exprimé jusqu’ici sur ce sujet. Si je devais répondre à la question : « est-ce que, aujourd’hui, l’UE, telle qu’elle fonctionne, vous semble apporter plus d’inconvénients ou plus d’avantages pour les peuples que la coexistence des nations », je répondrais « plus d’inconvénients », avec des arguments semblables à ceux que j’ai utilisés quand je défendais en 2005 le « Non » au projet de TCE (Constitution).
L’Europe actuelle est, en dépit de rares avancées qui m’aident à ne pas désespérer de sa refondation (billets suivants), une caricature de démocratie, avec en particulier sa Commission et sa BCE faisant la loi économique et financière, dans une orientation profondément néolibérale. Si nous ne parvenons pas à en changer les règles et les traités en nous opposant frontalement à ce qui existe, elle est fichue et, en effet, il n’y aura pas d’autre choix que d’en sortir. Selon certains, nous n’avons que trop attendu pour le faire, mais telle n’est pas ma position actuelle.
Il ya quelques jours, l’économiste Bernard Maris écrivait dans Charlie Hebdo qu’après avoir voté oui aussi bien à Maastricht en 1992 qu’au projet de Constitution en 2005, il était désormais convaincu qu’il fallait quitter la zone euro. Il ne me viendrait pas à l’idée de lui reprocher d’avoir, comme il l’écrit, « viré sa cuti », vu qu’il m’est arrivé plus d’une fois de virer la mienne sur des sujets importants à mes yeux. Pourtant, je ne vais pas suivre Oncle Bernard cette fois. Je commence dans ce billet par les protagonistes à gauche.
TOUR D’HORIZON DES POSITIONS ET OPPOSITIONS A GAUCHE
Qui trouve-t-on de part et d’autre comme personnes et collectifs ? Il est certes réducteur d’envisager seulement deux positions, mais, dans le cas présent, quitter l’euro au plus vite et de façon volontaire s’oppose assez clairement à ne pas choisir de le quitter, même si, dans les deux cas, des variantes existent que j’évoquerai. Je privilégie le cas de la France et des personnes et groupes « de gauche » connus pour leur hostilité au néolibéralisme, ma ligne de partage étant une opposition nette au projet de traité transatlantique. Il m’est difficile de ranger le PS actuel dans cette catégorie même si une partie de ses membres et proches pourrait l’être.
Dans cet ensemble, les « pour » (quitter) sont en premier lieu des intellectuels, et parmi eux une majorité d’économistes. Ils ont acquis une audience dans certains médias, ce qui ne veut pas dire qu’ils passent souvent à la télé… Les plus présents depuis plusieurs années sont Jacques Sapir, Emmanuel Todd et Frédéric Lordon. Ils sont très minoritaires mais pas isolés dans la galaxie des intellectuels situés clairement à gauche. Au sein des « économistes atterrés », qui ont publié fin 2013 un gros et bon livre collectif (Changer l’Europe !), les deux courants existent, même si, dans ce livre au moins, les « pour » (quitter) sont ultra-minoritaires parmi les seize co-auteurs.
Du côté des organisations, partis, syndicats et associations, la proposition de sortie de l’euro est très isolée, au moins au niveau des instances dirigeantes, ce qui ne dit rien des débats internes qui existent à coup sûr. Le Parti communiste et le Parti de gauche sont, avec des nuances, contre la proposition de sortie volontaire, tout comme le NPA, EELV et « Nouvelle Donne », et de même, du côté des syndicats, mais de façon prudente, pour la CGT, Solidaires et la FSU. Idem, très nettement, pour Attac et la Fondation Copernic, nonobstant des débats internes assumés.
J’ai oublié le M’pep, favorable à la sortie de l’euro et de l’Union, au point d’appeler à l’abstention aux prochaines élections européennes, mais ce n’est pas en dire du mal que d’affirmer que son poids est infime dans ce concert. Todd lui aussi voit dans l’abstention « la seule arme contre le FN et les européistes », mais comme je me refuse à polémiquer, je ne dirai pas ce que j’en pense, d’autant que ce n’est pas la question de ce billet. Sapir juge d’ailleurs cette position « erronée ».
ET LES CITOYENS DE BASE ?
Peut-on parler de ce qu’en pensent les citoyens « de base », à partir de quelques sondages ? Oui, mais avec beaucoup de limites. D’abord, surtout quand le sujet est complexe, les sondages ne remplacent pas de vrais débats (tels que ceux qui se sont déroulés avant le referendum sur le TCE). Ensuite, ceux qui existent n’aident pas toujours. Par exemple, les sondages réguliers de l’IFOP depuis 2010 sur la question binaire « Diriez-vous qu’aujourd’hui pour votre pays c’est plutôt une bonne chose ou plutôt une mauvaise chose d’appartenir à l’Union Européenne ? » ne permettent pas de savoir si les personnes qui répondent que c’est plutôt une mauvaise chose AUJOURD’HUI (ils seraient devenus légèrement majoritaires) pensent ou non qu’il faut en sortir.
Plus utile et moins ambiguë est une autre question du même sondage : « souhaitez-vous que votre pays abandonne l’euro et revienne à la monnaie nationale ». Voici le graphique depuis 2010 (cliquer sur le graphique pour l’agrandir) :
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Il n’est pas évident, au vu de ce graphique, que les avocats d’une sortie de l’euro aient gagné des points depuis quatre ans dans l’ensemble de la population, même s’il me semble possible, mais sans preuve, qu’ils en aient gagné depuis la période précédant la crise. Je n’ai pas trouvé de répartition des personnes interrogées selon leurs préférences politiques ou leur catégorie sociale, sauf cette mention : les deux fractions de loin les plus favorables à un retour au franc sont les sympathisants du FN (à 67 % contre 33 %), et dans une moindre mesure ceux du Front de gauche, à 55 % contre 45 %. Il est aussi indiqué que les plus de 65 ans sont nettement moins favorables que la moyenne à la sortie de l’euro dans les pays enquêtés. Mais pour ma part et vu mon âge, je n’ai rien contre les vieux…
Quelles premières conclusions puis-je tirer de ce qui précède, avant d’en venir, dans les billets suivants, au contenu des propositions respectives ? D’abord, l’isolement considérable des avocats de la sortie de l’Euro (et de fait de l’Union, billet suivant) au sein du « peuple de gauche » et de ses collectifs ne prouve certainement pas qu’ils ont tort, mais me fait penser qu’ils échoueraient lourdement DANS LEUR PROPRE CAMP si un grand débat national était organisé. Sans doute pensent-ils le contraire. Je ne peux pas leur reprocher.
Ensuite, la position de sortie est presque uniquement portée devant l’opinion par des intellectuels et majoritairement par des économistes. Ils empruntent, pour convaincre, des arguments avant tout économiques. J’y reviendrai, mais ma conviction est que – sur ces questions comme sur d’autres – l’économie et les économistes ont bien trop de poids dans le débat public. Ces questions sont d’abord philosophiques, culturelles, éthiques, accessibles à des non spécialistes, bref citoyennes. Organisons donc des conférences citoyennes, de vastes débats publics, les intellectuels y auront une place modeste, celle que Keynes préconisait pour les économistes : sur la banquette arrière, pas au volant.
C’est sans doute parce que les économistes ont trop d’influence que ce débat utilise plus souvent l’entrée par l’euro que l’entrée par l’Europe. On est alors enfermé dans des controverses bourrées d’incertitudes (billets suivants) sur les dévaluations, la compétitivité, l’inflation, une monnaie commune, etc. au risque de perdre toute vision politique, sociale et écologique.
Un dernier argument. Le même sondage IFOP a été réalisé dans trois autres pays de la zone euro : Espagne, Italie et Allemagne (graphique ci-après). Le souhait de sortie de l’euro y est le plus fort dans le pays « dominant », l’Allemagne, et à peu près comparable en Espagne et en Italie à ce qu’il est en France, bien que ces deux pays du Sud aient été beaucoup plus malmenés par la Troïka. Je n’ai pas vu de sondage récent pour la Grèce, le pays le plus meurtri, mais ceux qui avaient été réalisés en 2012 indiquaient une écrasante majorité en faveur du maintien dans l’euro. Par ailleurs il ne semble pas que la vraie gauche (selon moi) de ce pays soit prête à suivre les recommandations de Sapir, Todd et Lordon. Le parti Syriza, qui pourrait devenir le premier du pays, ne préconise pas la sortie de l’euro ni de l’Union, mais, entre autres, l’annulation d’une partie significative de la dette publique et la reprise en mains du secteur bancaire (voir, dans le « Diplo » de février 2013, cet article d’Alexis Tsipras, ainsi que cet article plus récent). Une position proche de celle du CADTM, comité pour l’annulation de la dette du tiers-monde.
Sans polémiquer, j’ai un peu de mal à voir ces organisations et mouvements comme des « européistes » utopistes, bien gentils mais naïfs, tancés par quelques intellectuels et économistes brillants, dont je suis parfois proche, mais qui ne se posent guère la question des alliances pouvant conduire leurs thèses à l’emporter démocratiquement. Mais cette opinion ne dit rien du débat de fond sur l’euro et l’Europe… à suivre, avec le prochain billet : « Sortir de l’euro ? De l’Union ? (2/3 : les oppositions de fond) ».
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Cet article a été posté le Mardi 15 avril 2014

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