vendredi 27 juin 2014

Le communisme, dictature de voyous menteurs et méchants...



« Une nuit, une femme est arrêtée dans un appartement communautaire (cinq familles, vingt-sept personnes). A une voisine, qui est une amie, célibataire sans enfant, elle a le temps de crier qu'elle lui confie sa fille, et que, si elle ne revient pas, surtout on ne la mette pas dans un orphelinat. La voisine tient parole. Elle se voit attribuer une deuxième pièce, élève la petite qui l'appelle maman Ania. La mère est libérée dix-sept ans plus tard, et n'en peut plus de reconnaissance. Grâce à Gorbatchev qui ouvre les archives, elle peut consulter son dossier. Elle découvre qu'elle doit ses années de camp à une dénonciation. Qui l'a dénoncée ? Maman Ania. «Vous comprenez quelque chose ? Moi, non, dit Elena Iourevna, ex-troisième secrétaire du comité régional du Parti, à Svetlana Alexievitch venue l'interviewer. Et cette femme non plus, elle n'a pas compris. Elle est rentrée chez elle et elle s'est pendue.» Dans la Fin de l'homme rouge ou le temps du désenchantement,qui est le dernier volet de la fresque «les Voix de l'utopie», il y a d'autres récits où la vie continue, où ceux qui reviennent du goulag côtoient ceux qui les ont dénoncés...
«Ce n'est pas sur la liberté qu'on s'est précipités, mais sur les jeans», dit Elena Iourevna, qui aurait voulu que le putsch contre Gorbatchev réussisse. Elle pense que Svetlana Alexievitch va effacer ses propos. Mais l'auteur s'autorise un de ses rares apartés, dans l'océan de paroles qu'elle a écopé, avec son magnétophone, pendant quarante ans, depuis que le journalisme l'a menée à la littérature : «Je lui promets qu'il y aura les deux histoires. Je tiens à être une historienne au sang froid, et non une historienne brandissant un flambeau allumé. C'est l'avenir qui jugera.».
Lu un livre, publié   chez Acte Sud, mon éditeur préféré : « La fin de l’homme rouge », de Svetlana Alexevitch. L’histoire d’une grande utopie. “Le communisme avait un projet insensé : transformer l’homme «ancien», le vieil Adam. Et cela a marché… En soixante-dix ans et quelques, on a créé dans le laboratoire du marxisme-léninisme un type d’homme particulier, l’Homo sovieticus.” C’est déjà lui qu’elle avait étudié depuis son premier livre, publié en 1985, cet homme rouge condamné à disparaître avec l’implosion de l’Union soviétique qui ne fut suivie d’aucun procès de Nuremberg malgré les millions de morts du régime. L’auteur fait résonner les voix de centaines de témoins brisés. Des humiliés et des offensés, des gens bien, d’autres moins bien, des mères déportées avec leurs enfants, des staliniens impénitents malgré le Goulag, des enthousiastes de la perestroïka ahuris devant le capitalisme triomphant… Eva
La Fin de l'homme rouge ou le temps du désenchantement
Poursuivant son patient recueil de témoignages, Svetlana Alexievitch ausculte le coeur et l'âme de l'Homo sovieticus, passé brutalement du totalitarisme au nihilisme.
Voici plus de trente ans que Svetlana Alexievitch — journaliste et écrivain, ­naguère soviétique, aujourd'hui biélorusse — s'est mise à l'écoute. Sollicitant et consignant les mots, les récits des autres, tous témoins ordinaires de leur temps, pour composer ce qu'elle appelle des « romans de voix ». Singuliers et poignants tissus sonores donc, le travail de confection consiste à coudre entre elles les paroles recueillies, en préservant, outre les faits égrenés, le timbre, la respiration, les hésitations, les omissions, l'émotion contenue ou éclatante, la vitalité de chaque voix. Il y eut des voix de femmes soldats et d'enfants, se souvenant de la guerre entre l'URSS et l'Allemagne nazie (La guerre n'a pas un visage de femme, Derniers Témoins). Des voix de jeunes recrues soviétiques fracassées en Afghanistan, mêlées à celles de leur mère, de leur veuve (Les Cercueils de zinc). Les voix des témoins et victimes de la catastrophe nucléaire de Tchernobyl (La Supplication). Tout ce vécu, toutes ces expériences individuelles constituant les archives confidentielles, menacées tant par l'oubli que par la négation, d'un xxe siècle dont l'historiographie officielle soviétique s'est employée à brosser un tout autre récit. Une Histoire écrite par ­Svetlana Alexievitch à hauteur d'hom­me — centrée sur le vécu, le ressenti.
Dans la préface de La guerre n'a pas un visage de femme, Svetlana Alexievitch expliquait : « Je n'écris pas sur la guerre, mais sur l'homme dans la guerre. J'écris non pas une histoire de la guerre, mais une histoire des sentiments. » De la même façon, au seuil de La Fin de l'homme rouge pourrait-il être précisé qu'il ne s'agit pas d'une histoire de l'effondrement de l'URSS et du basculement de l'ancien empire communiste dans l'âge capitaliste, mais plutôt de l'auscultation du coeur et de l'âme de ce « type d'homme particulier, l'Homo sovieticus ». Un individu passé sans transition du totalitarisme à une nouvelle forme de nihilisme. Né et élevé dans l'utopie socialiste — du moins, son avatar fatigué de l'ère Brejnev-Andropov-Tchernenko —, brutalement sommé de renoncer à ses routines, ses savoirs, son histoire et ses mythes, et enjoint à jouir de sa liberté toute neuve, essentiellement synonyme de consommation effrénée, d'inégalités sociales crian­tes, de conflits d'une violence effarante entre les peuples anciennement rassemblés derrière le drapeau rouge frappé de la faucille et du marteau.
Les hommes et les femmes dont Svetlana Alexievitch a recueilli les con­fes­sions racontent ici à mots con­crets leur quotidien, leurs souvenirs d'enfance ; ils confient leurs aspirations passées ou présentes, leur con­ception de la liberté ; ils disent leurs histoires d'amour, leurs deuils, les profonds malheurs et menus bonheurs dont sont faites leurs vies. En fait, deux ­générations se côtoient dans ces pages. D'abord, celle dite « des cuisines » — « C'est à son époque [les années 1960-1970, NDLR] que les gens ont quitté les appartements communautaires et ont commencé à avoir des cuisines ­privées dans lesquelles on pouvait critiquer le pouvoir, et surtout ne plus avoir peur, parce qu'on était entre soi... »

Aujourd'hui sexagénaires, ils (et elles) furent élevés dans le culte de Lénine, Staline et de l'héroïque Armée rouge, ils connurent l'enrôlement obligatoire dans les Jeunesses communistes, la crainte permanente du NKVD (police politique de l'URSS), l'ombre encore menaçante du goulag. Et en août 1991, ils étaient dans la rue pour s'opposer au putsch contre Gorbatchev et défendre une certaine idée — théorique, sublimée — de la liberté. Les voici aujourd'hui las, sidérés, anéantis, entre découragement et colère. L'un dit : « Nous avons connu les camps, nous avons couvert la terre de nos cadavres pendant la guerre, nous avons ramassé du combustible atomique à mains nues à Tchernobyl. Et maintenant nous nous ­retrouvons sur les décombres du socialisme. Comme après la guerre... »
La seconde génération, ce sont leurs enfants, âgés aujourd'hui de 20, 30 ans, grandis à l'époque post-totalitaire, mais plongés dans un chaos économique, et surtout spirituel et moral sans fond ni fin, comme sans issue. Plus souffrants encore, peut-être, que ceux qui les ont précédés, car comme privés de la faculté d'espérer ou de rêver — si ce n'est de l'exil. Face à eux, comme face à leurs aînés, Svetlana Alexievitch se tient avec attention, empathie. Cherchant, explique-t-elle, à « discerner en chacun d'eux l'être humain de toute éternité », l'élan vital et le tragique. Si leurs histoires se ressemblent et se recoupent, l'écrivain se garde de tenter d'en dresser une synthèse — c'est dans leur diversité, autant que dans leurs similitudes, que réside toute la richesse de ce grand livre d'histoire humaniste, tout ensemble infiniment douloureux et formidablement vivant. Qui souvent fait revenir à l'esprit cette réflexion notée par Nadejda Mandelstam, la femme du poète, dans ses Mémoires : « Ce n'est pas l'héroïsme mais l'endurance qui était notre unique qualité. »
Nathalie Crom
La Fin de l'homme rouge | Vremia second hand (konets krasnovo tcheloveka), traduit du russe par Sophie Benech | Ed. Actes Sud | 542 p., 24,80 €. (En librairie le 4 septembre.)
BIO EXPRESS  de Svetlana Alexievitch
1948 Naissance à Ivano-Frankovsk (Ukraine).
1967 Entrée à la faculté de journalisme de Minsk (Biélorussie).
1985 Parution de La guerre n'a pas un visage de femme et de Derniers Témoins.
1989 Parution des Cercueils de zinc.
1997 Parution de La Supplication.
Nathalie Crom - Telerama n° 3320
La biélorusse Svetlana Alexievitch a reçu, mardi 26 novembre, le prix du meilleur livre de l'année 2013, décerné par la rédaction de Lire pour La Fin de l'homme rouge.
En savoir plus sur http://www.lexpress.fr/culture/livre/le-meilleur-livre-de-l-annee-pour-la-fin-de-l-homme-rouge-de-svetlanas-alexievitch_1303002.html#dIwCS2qcbg4YHbDo.99

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