lundi 7 juillet 2014

Revenue de l'Enfer communiste...



Le Chapiteau Vert de Ludmila Oulitskaïa
Le dernier roman de Ludmila Oulitskaïa revient sur l’histoire des dissidents en URSS.  L’histoire commence dans les années 50 et suit la vie de 3 garçons qui deviennent dissidents chacun pour ses propres raisons.
Comment devient-on dissident en Union Soviétique? Qu’est-ce qui distingue le héros du traître? Ce livre très dense, issu de longues réflexions de l’auteur, retrace la vie des gens dans l’Union soviétique à partir des années 50 et raconte aussi les relations complexes, parfois ambigües, des gens ordinaires avec les représentants du KGB, incarnant le mal mais parfois séducteurs et talentueux. Une condamnation sans appel du totalitarisme.
L’intrigue est captivante, la langue fascinante (en russe du moins, nous n’avons pas lu la traduction française que nous espérons à la hauteur). Olga vous recommande vivement cet ouvrage à la fois historique et psychologique.
Le Chapiteau Vert
Ludmila Oulitskaïa
Gallimard
512 pages, 24,90€
Retour à la case enfer pour la littérature russe
Tiraillée entre une tradition légendaire et un présent sans perspectives, la littérature russe implose. Pour mieux renaître ?
La littérature russe est en pleine crise. Hier, elle chatoyait comme un gigantesque samovar où des géants attisaient les charbons ardents d'une prose chevillée à l'absolu. Aujourd'hui, elle doit affronter les démons d'une société phagocytée par un pouvoir cynique, et le désarroi est tout simplement vertigineux car les écrivains ont le sentiment d'être les otages du pathétique sabordage spirituel dont leur patrie est le théâtre. 
Pour eux, tout a changé depuis que le golem soviétique s'est effondré. Les institutions culturelles du passé ont disparu. La littérature n'a plus de comptes à rendre à l'Histoire. L'époque de la clandestinité et de la dissidence - qui stimula tant de voix magistrales - est révolue. Les figures radieuses qui servaient de sémaphores dans la tempête - celles d'Axionov, de Zinoviev ou de Soljenitsyne - ont tiré leur révérence. La Toile a remplacé le samizdat. Les éditeurs privés essaiment de toutes parts, dans une pagaille incroyable. Les grandes revues qui fédéraient les énergies créatrices - la prestigieuse Novy Mir, par exemple - ont perdu leur aura. Les vents de l'occident ont balayé les vieilles habitudes, en déposant sur la terre russe les germes d'inspirations nouvelles. Face à tous ces chamboulements, les écrivains sont désormais obligés d'improviser, de louvoyer à l'aveuglette et de réinventer les règles du jeu littéraire. Si leur liberté est maintenant totale, ils ne peuvent pas vivre de leur plume, pour la plupart : chez eux, l'aide à la création n'existe pas et les livres, trop chers, se vendent mal - les plus gros tirages atteignent péniblement les 50 000 exemplaires dans un pays qui compte 140 millions d'habitants. 
Les écrivains cherchent l'inspiration dans les rebuts de la société
Résultat, la littérature russe est la proie d'une réalité économique chaotique et, en même temps, elle semble condamnée à régresser vers une sorte de degré zéro, afin de se reconstruire. Une reconstruction d'autant plus douloureuse qu'elle se fait sur les ruines d'une nation tour à tour vampirisée par l'hydre bolchevique et par les nouveaux satrapes du Kremlin. Tous les écrivains contemporains, en un choeur tragique, témoignent de ce malaise en stigmatisant "une Russie dégringolée dans la misère et le brigandage", comme disait Soljenitsyne dans ses Esquisses d'exil. Oui, un choeur tragique : longtemps contrainte à voir rouge, la littérature doit maintenant broyer du noir. Sinistrose à tous les étages, comme l'annonce un jeune auteur à la plume incendiaire - Alexandre Ikonnikov - dans un recueil au titre emblématique, Dernières nouvelles du bourbier, où il dissèque les maux d'un pays sans projets, sans lendemains, qui fut le dépotoir de la terreur avant de devenir une nécropole remplie d'âmes mortes. 

Telle est la nouvelle donne : un retour à la case enfer... Jadis jetés dans les poubelles de l'Histoire s'ils n'obtempéraient pas, les écrivains cherchent aujourd'hui leur inspiration dans les rebuts de la société. Vladimir Makanine recrute ses gueules cassées et ses coeurs fêlés dans les asiles psychiatriques - "nous avons des neuroleptiques mais plus de prophètes", ironise-t-il. Arkadi Babtchenko et Andreï Guelassimov donnent la parole aux éclopés céliniens qui furent sacrifiés dans la boucherie tchétchène. Iouri Bouïda met en scène la pègre des bas-fonds. Natalia Klioutchareva rameute la foule des marginaux errant entre Saint-Pétersbourg et Moscou. Anatoli Koroliov se glisse dans les toiles de Jérôme Bosch pour dresser "un panorama du malheur humain". Zakhar Prilepine se tourne vers les gamins déshérités des banlieues. Irina Denejkina peint une jeunesse défoncée à la drogue et à la pornographie la plus trash. Leur point commun ? Entonner le requiem d'une génération perdue en s'agrippant rageusement à la même écriture hyperréaliste, froide et crue, sans trouver le moindre fétu d'utopie dans la débâcle. 
Mafieux et dealers, soudards et soûlards, enfants du chaos, tels sont les personnages favoris de la littérature russe, sorte de bateau ivre dérivant sur un océan de vodka frelatée. Elle coule à flots - de La Soif, d'Andreï Guelassimov au Troisième souffle de Valéri Popov - en emportant dans son déluge les idéaux d'une humanité humiliée qui sera brutalement passée de "l'archipel du goulag" à "l'archipel du goulot", avant de se réveiller avec une terrible gueule de bois. 
Face à ce fiasco, certains se réfugient douillettement dans la nostalgie tsariste - c'est le cas de Boris Akounine, grand maître du polar - et d'autres choisissent le camp du sarcasme, de la dérision, du grotesque à la Gogol. Parmi eux, les deux auteurs les plus sulfureux et les plus commentés de la scène littéraire, Vladimir Sorokine et Viktor Pelevine. Le premier a déchaîné les milices poutiniennes, en 2002, après avoir publié Le Lard bleu, un roman-dynamite où l'on voit Staline forniquer avec Khrouchtchev et où l'obscénité la plus déjantée sert de miroir à l'anarchie ambiante. "L'ours russe se prépare à un hiver métaphysique", prophétise Sorokine. Et il ajoute : "Si la Russie était coupée du monde, ce dont on rêve au Kremlin, elle plongerait immédiatement dans le XVIe siècle d'Ivan le Terrible." 
Une odyssée collective vers les ténèbres
Son complice Pelevine navigue sur les mêmes eaux boueuses depuis qu'il a dégainé, il y a une dizaine d'années, sa Mitrailleuse d'argile, une fable ubuesque qui mêle surréalisme et parodie, satire politique et delirium psychédélique. Il a signé avec ce roman culte un magistral éloge de la folie, seule chance de survie dans une nation qui a troqué la barbarie stalinienne contre le capitalisme le plus sauvagement immoral. Un monde que le trublion des lettres russes définit avec un mot-valise : "bandier", contraction de "bandit" et de "banquier". 
Honnis par le pouvoir, Sorokine et Pelevine reprennent donc les chemins de la dissidence dans une jungle où on les accueille à coups d'autodafés. Leurs pairs livrent le même combat - perdu d'avance ? - en souscrivant à ces mots d'Edouard Limonov, l'enfant terrible de l'ère Eltsine : "Notre société ne peut rien proposer à notre jeunesse, excepté les sinistres professions de flic et de soldat, l'ivrognerie débridée ou la vie lugubre des prisons." Et Zakhar Prilepine lui répond : "En Russie, il reste peu de choses en lesquelles nous pouvons croire. Ce pays se nourrit des âmes de ses fils, et c'est cela qui le fait vivre. Ce ne sont pas les saints, ce sont les maudits qui le font vivre." 
Triste bilan. Sombre perspective. Dans cette odyssée collective vers les ténèbres, on aurait bien de la peine à trouver des plumes qui s'aventurent encore sur la voie du rêve et du merveilleux - à part celle de la lumineuse Ludmila Oulitskaïa - afin d'aller réchauffer la vieille âme russe dans la datcha où elle s'est exilée, oubliée de tous. Cette âme-là, depuis Dostoïevski, a toujours aimé la souffrance et c'est pour cela qu'elle est attachante : mais le froid, aujourd'hui, est si glacial, si redoutable qu'il risque bien de la fendre à tout jamais. 
André Clavel
Le Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes 2011 a été décerné à la grande romancière russe Ludmila Oulitskaïa, dont l'oeuvre témoigne "d'un sens aigu de la justice et de la démocratie", ont annoncé jeudi les organisateurs. Prix Médicis étranger en 1996 pour Sonietchka, elle est notamment l'auteur de Sincèrement vôtre et de Joyeuses funérailles.  
Née en 1943 en Azerbaïdjan où ses parents avaient été évacués pendant la guerre, Ludmila Oulitskaïa a grandi à Moscou et fait des études de biologie et de génétique à l'université. Elle perdra sa chaire de génétique en raison de sa proximité avec les dissidents.  
En récompensant cette année une femme de lettres, après avoir couronné des militantes, par exemple chinoises, le jury, composé de personnalités comme Elisabeth Badinter, Chahla Chafiq, Annie Ernaux ou Sihem Habchi, a voulu "mettre l'accent sur la créativité des femmes, dans laquelle se manifeste et s'affirme leur émancipation", a souligné la présidente du jury, Julia Kristeva, lors d'un point presse.  
Doté de 30.000 euros, le prix, créé en 2008 à l'occasion du 100e anniversaire de la naissance de Simone de Beauvoir, sera remis le 10 janvier au Café Les Deux-Magots à Paris, en présence de la lauréate de 67 ans.
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