lundi 13 mai 2013

Les extrèmes politiques...



Les extrêmes politiques : (dis)qualifications, (dis)positions, transferts
Publié le vendredi 03 mai 2013 par Elsa Zotian
Le colloque « Les extrêmes politiques : (dis)qualifications, (dis)positions, transferts », ouvert à des travaux de recherche récents inscrits dans différentes traditions théoriques et dans différentes disciplines (sociologie, science politique, histoire sociale, etc), souhaite contribuer, à la suite du livre dirigé par A. Collovald et B. Gaïti.
La Démocratie aux extrêmes, au renouvellement de la compréhension des engagements politiques, des discours, des pratiques, classés communément dans une forme d’« extrémisme ». Ce colloque, organisé les 03 et 04 octobre 2013 par le CURAPP (UMR 7319), entend notamment questionner les conditions sociales et historiques d’une assignation identitaire réussie.
Annonce
Argumentaire
Dans l’introduction d’un ouvrage collectif publié sous leur direction en 2006 et issu d’une table ronde de l’Association française de science politique en 2002, Annie Collovald et Brigitte Gaïti constataient : « “Fanatisme”, “choc des civilisations”, “montée irrésistible du racisme” et de “l’autoritarisme populaire” : autant de constats alarmistes devant ce qui semble aujourd’hui menacer les normes, les idéaux et les principes de toute démocratie. Le recours à la violence physique (entrée dans la lutte armée, terrorisme, prise d’otages) et plus largement le refus des arrangements et des compromis qui soutenaient les règles d’une politique pacifiée mettraient directement à l’épreuve l’ordre démocratique établi ; ces phénomènes trouveraient leur localisation politique dans toutes les formes d’extrémisme (extrême droite, extrême gauche, islamisme, nationalisme, indépendantisme) et leur localisation sociale dans des groupes renvoyés aux lisières du monde démocratique ; les jeunes immigrés des banlieues ou les musulmans des pays arabes, les chômeurs ou les sans papiers d’aujourd’hui remplaçant en quelque sorte les ouvriers ou les paysans d’hier. » (Collovald et Gaïti, 2006)
On pourrait rajouter, pour compléter cet aperçu synthétique des manières habituelles de penser les phénomènes dits « extrémistes », la diffusion étendue parmi les commentateurs politiques et au-delà, de l’hypothèse d’une gémellité entre les extrêmes (en particulier entre les groupes classés à « l’extrême-gauche » et ceux classés à « l’extrême-droite ») qui relèveraient en fait d’un même « totalitarisme » (Christofferson, 2009). On ne peut en tout cas que constater, six ans après la publication du livre, le caractère toujours diffus dans le monde politique et intellectuel, des analyses se bornant à expliquer « l’extrémisme » en général à la personnalité frustrée, autoritaire, violente, manichéenne (Ory, 2012 : 11-14). Le colloque « Les extrêmes politiques : (dis)qualifications, (dis)positions, transferts », ouvert à des travaux de recherche récents inscrits dans différentes traditions théoriques et dans différentes disciplines (sociologie, science politique, histoire sociale, etc…), entend donc contribuer, à la suite du livre dirigé par A. Collovald et B. Gaïti, au renouvellement de la compréhension des engagements politiques, des discours, des pratiques, classés communément dans une forme d’« extrémisme ».
Privilégiant des observations ethnographiques, plusieurs travaux ont tenté de saisir, au-delà des idéologies développées par les porte-parole de ces groupes, les visions du monde qui participent à l’engagement militant, que l’on pense aux émotions que produisent les actions des blacks blocs (Dupuis-Déri, 2007), aux pratiques des militants du FN (Bizeul, 2003), aux modes de recrutement du PCF (Pennetier et Pudal, 2002), de maintien et de façonnement des militants (Siblot, 2002 ; Ethuin,  2003 ; Studer, 2003), participant ainsi à décloisonner la sociologie de l’engagement militant (Sawicki, Siméant, 2009) en essayant de saisir la manière dont se forme leur habitus. Faire le lien avec d’autres espaces sociaux comme la musique (Roueff, 2001 ; Humeau, 2011), les champs littéraire ou intellectuel (Sapiro, 1999 ; Matonti, 2005), le sport, l’école, le travail ou la famille, en repositionnant les agents dans leur « totalité culturelle » permet de déplacer le regard et réinterroger le rapport au politique. Comment l’engagement des militants légitime et actualise des dispositions sociales et politiques acquises en-dehors du monde politique ? En quoi les pratiques, le langage, les modes de sociabilité, la division du travail militant recoupent des catégories de pensée que le groupe participe à la fois à reproduire socialement et à légitimer ?     
Prenant le contre-pied des approches essentialistes et normatives qui imputent aux phénomènes qualifiés de « radicaux » ou « extrémistes » des traits propres et distinctifs (une « nature » violente par exemple) en même temps qu’elles prêtent à certains groupes sociaux des attitudes foncièrement non-démocratiques et autoritaires, Annie Collovald et Brigitte Gaïti proposaient dans leur livre un programme de recherche d’inspiration interactionniste et constructiviste s’attachant à dégager les processus (réversibles) de radicalisation des situations et des règles du jeu, des groupes et des hommes – basculements eux-mêmes indexés sur plusieurs types de temporalité (la temporalité selon laquelle se transforment les manières de penser et de faire n’est pas la même que la temporalité selon laquelle se modifient « les cadres d’interprétation et de signification accolés à ces pratiques ou à ces représentations »). De la tradition théorique mobilisée par elles découle ainsi un intérêt tout particulier pour « le travail d’étiquetage et ses effets de construction d’une réalité qu’il entend qualifier » (Collovald et Gaïti, 2006 : 12). La politique – « activité consistant à faire des choses avec des mots » (Cohen et al., 2009 : 15) – est en effet traversée de catégories et représentations (socialement et historiquement situées) présentant un caractère « performatif » en ce qu’elles constituent la réalité politique. Aussi le colloque s’ouvrira-t-il aux contributions s’intéressant plus spécifiquement aux mécanismes de production d’un « Autre » violent, dangereux et menaçant, de disqualification de groupes politiques comme extérieurs au jeu démocratique pacifié, de constitution d’un « ennemi intérieur », et/ou aux dispositifs (ou autres) visant à juguler ces menaces (Collovald, 2001 ; Rigouste, 2009 ; Biard et al., 2012). L’approche constructiviste trouve néanmoins ses limites si elle se borne à présupposer l’efficacité des stigmates. Le colloque entend à ce propos questionner les conditions sociales et historiques d’une assignation identitaire réussie. En cela, seront bienvenues les contributions qui prennent en compte les trajectoires et ressources sociales des individus ou collectifs et engagent une analyse de la structure et de la dynamique des espaces sociaux dans lesquels les individus ou groupes évoluent (Kestel, 2012).
Le cas des artistes et écrivains se réclamant de « l’avant-garde » a mis en lumière des phénomènes de surenchère à la « radicalité » (Boschetti, 2010). On trouve des phénomènes analogues dans des univers plus politiques, comme l’a montré l’étude consacrée par Philippe Gottraux au groupe militant Socialisme ou Barbarie (actif en France dans les années 1950-1960), le conduisant d’ailleurs à forger la notion de « champ politique radical » (Gottraux, 1997). Quels univers sociaux sont en mesure de convertir des traits « extrémistes » en valeur ? Comment ont-ils émergés ? Comment fonctionnent-ils ? Sous quelles conditions sociales et historiques les phénomènes de surenchère dans la radicalité sont-ils susceptibles de travailler plus largement l’ensemble du champ politique et/ou du champ de production idéologique ? Poser comme objet d’étude les dynamiques de radicalisation, de « poussée aux extrêmes », invite également, dans le cas surtout de l’étude de mouvements ou groupes circonscrits, à cerner les apports et limites de la psychosociologie des « groupes » (Janis, 1972). La réflexion sur ces groupes classés aux « extrêmes » du champ politique, autrement dit dans ses marges, implique de s’interroger plus globalement sur les relations qu’ils entretiennent avec « l’establishment », sur la manière dont ils participent à la construction du champ politique (Dulong, 2010) et à ses mécanismes de clôture.    
Outre ces quelques pistes de réflexion, le colloque pourra s’ouvrir aux contributions abordant les transferts internationaux des pratiques ou théories « extrémistes », ou aux retraductions opérées dans le cadre de ces transferts dans des contextes nationaux ou locaux différents. Pourront aussi être retenues des contributions abordant les usages des productions symboliques désignées généralement comme « théories » ou, dans une acception nettement plus péjorative, comme « idéologies », dans la vie des groupes ou courants « extrémistes » (Belorgey, 2011) ; celles également se proposant de questionner plus spécifiquement l’intérêt et les limites des différentes méthodologies ou concepts employés pour rendre raison d’engagements extrémistes :  comment étudier des engagements qui apparaissent au chercheur ou à la communauté scientifique dans son ensemble comme « répugnants » (Nikolski, 2011 ; Avanza, 2008) ? Quels sont les apports et limites des approches ethnographiques, statistiques, historiques, de l’étude des « extrémismes » ? Quelle est la pertinence heuristique des comparaisons entre différents phénomènes reliés uniquement par leur stigmatisation comme relevant d’un « extrémisme » ?
Bibliographie indicative
- Martina Avanza, 2008. « Comment faire de l’ethnographie quand on n’aime pas ses "indigènes" ? Une enquête au sein d’un mouvement xénophobe », in Didier Fassin et Alban Bensa, Les politiques de l’enquête, Paris,la Découverte.
- Nicolas Belorgey et al. 2011. Dossier « Théories en milieu militant », Sociétés contemporaines, n°81.
- Michel Biard, Bernard Gainot, Paul Pasteur et Pierre Serna, 2012. “Extrêmes” ? Identité partisane et stigmatisation des gauches en Europe (XVIIIe-XXe siècle), Rennes, Presses Universitaires de Rennes.
- Daniel Bizeul, 2003. Avec ceux du FN. Une sociologie au Front national, Paris,La Découverte.
- Anna Boschetti, 2010. « Avant-garde », in Olivier Christin (dir.), Dictionnaire des concepts nomades en sciences humaines, Paris, Métailié, pp. 65-82.
- Annie Collovald, 2001. « Des désordres sociaux à la violence urbaine », Actes de la recherche en sciences sociales, n°136-137, pp. 104-113.
- Annie Collovald et Brigitte Gaïti, 2006. La Démocratie aux extrêmes. Sur la radicalisation politique, Paris,La Dispute.
- Antonin Cohen, Bernard Lacroix, Philippe Riutort, 2009. Nouveau manuel de science  politique, Paris,La Découverte.
- Michael S. Christofferson, 2009. Les Intellectuels contre la gauche. L’idéologie antitotalitaire en France (1968-1981), Marseille, Agone.
- Delphine Dulong, 2010. La construction du champ politique, Rennes, PUR.
- Francis Dupuis-Déri, Les black blocs. La liberté et l’égalité se manifestent, Québec, Lux, 2007 (2003).
- Nathalie Ethuin, 2003. « De l’idéologisation de l’engagement communiste. Fragments d’une enquête sur les écoles du PCF (1970-1990) », Politix, vol. 16, n°63, pp. 145-168.
- Philippe Gottraux, 1997. “Socialisme ou Barbarie”, Un engagement politique et intellectuel dans la France de l’après-guerre, Lausanne, Payot.
- Pierig Humeau, 2011. Sociologie de l’espace punk « indépendant » français : Apprentissages, trajectoires et vieillissement politico-artistique, Thèse de doctorat de sociologie, (dir. B. Geay) UPJV.
- Irvin L. Janis, 1972. Victims of Groupthink, A Psychological Study of Foreign Policy Decisions and Fiascoes, Boston, Houghton Mifflin Company.
- Laurent Kestel, 2012. La Conversion politique. Doriot, le PPF et la question du fascisme français, Paris, Raisons d’agir.
- Frédérique Matonti, 2005. Intellectuels communistes, Essai sur l’obéissance politique. La Nouvelle critique (1967-1980), Paris,La Découverte.
- Vera Nikolski, 2011. « La valeur heuristique de l’empathie dans l’étude des engagements “répugnants” », Genèses, n°84, pp. 113-126.
- Pascal Ory, 2012. Préface à Christophe Bourseiller, L’extrémisme. Une grande peur contemporaine, Paris, Éditions du CNRS, pp. 11-14.
- Claude Pennetier et Bernard Pudal, Autobiographie , Autocritiques, aveux dans le monde communiste, Paris, Belin, 2002.
- Mathieu Rigouste, 2009. L’ennemi intérieur, La généalogie coloniale et militaire de l’ordre sécuritaire dans la France contemporaine, Paris,La Découverte.
- Olivier Roueff, 2001. « Bohème militante, radicalité musicale : un "air de famille". La sensibilité des musiques improvisées au militantisme radical », Sociétés et représentations, n°11, pp. 407-432.
- Gisèle Sapiro, 1999. La Guerre des écrivains, 1940-1953, Paris, Fayard.
- Frédéric Sawicki, Johanna Siméant, 2009. « Décloisonner la sociologie de l’engagement militant. Note critique sur quelques tendances récentes des travaux français », Sociologie du travail, 51 (1), pp. 97-125.
- Yasmine Siblot, 2002. « Ouvriérisme et posture scolaire au PCF. La constitution des écoles élémentaires (1925-1936) », Politix, vol. 15, n°58, pp. 167-188.
- Brigitte Studer, 2003. « L’être perfectible. La formation du cadre stalinien par le "travail sur soi" », Genèses, 51, pp. 92-113.
Conférenciers invités
Annie Collovald,
Bertrand Geay,
Laurent Willemez.

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