samedi 15 février 2014

Une droite dans les choux, engraisse les extrêmes.



La manifestation de droite, un tabou? Ou pourquoi la proposition de Copé n'a-t-elle récolté que si peu de succès…
Le récent appel à manifester de Jean-François Copé, distancé dans les sondages par François Fillon dans la course à la présidence de l'UMP, et qui multiplie les propositions choc pour s'attirer les faveurs des militants, ne remporte pas un franc succès à droite. Dernièrement c'est l’ancien premier ministre lui-même qui a pris ses distances avec la proposition du secrétaire général de l’UMP, dans un tweet adressé le 31 octobre à son rival pour la candidature à la présidence de l’UMP:
Autour de Fillon, même son de cloche. L'ex-ministre Gérard Longuet, qui soutient François Fillon pour la présidence de l'UMP, a estimé que son rival Jean-François Copé n'avait pas eu "sa meilleure inspiration" en appelant à manifester contre les mesures du gouvernement. "Tout cela relève de la stratégie de campagne. Ce qui est sûr, c'est que l'opposition ne pourra pas retrouver le pouvoir par la manifestation", a affirmé Eric Ciotti. Plus critique, Bernard Debré a regretté la "course à l'échalotte" de Jean-François Copé qui "se radicalise". "Ca donne une mauvaise image de l'UMP et présente le militant comme un gros beauf", ajoute un filloniste qui se réjouit toutefois que son attitude "pousse des personnalités à sortir de leur neutralité". Jean-François Lamour, conseiller UMP de Paris, a quant à lui estimé qu’il ne fallait pas “mettre la charrue avant les boeufs”, et préféré avoir d’abord recours au “référendum”.
Les soutiens de Copé n’ont pas beaucoup donné de la voix, sans doute gênés aux entournures par cette proposition. Il a fallu attendre cinq jours après cette annonce pour que se manifestent les lieutenants du secrétaire général de l'UMP. "Jean-François Copé a totalement raison quand il affirme qu'il faut s'opposer par tous les moyens, y compris les manifestations, à la politique dangereuse de François Hollande. Et cela n'a rien d'antinomique avec le fait que, durant 5 ans, Nicolas Sarkozy a eu le courage nécessaire pour réformer la France en évitant tout blocage du pays. Car le contexte pour l'UMP a changé", a valoir dans un communiqué la déléguée générale de l'UMP Michèle Tabarot. Dans un communiqué distinct, la secrétaire nationale de l'UMP Camille Bedin a rattaché la proposition de Jean-François Copé à une "tradition" de droite en évoquant les mobilisations "en 1968, contre la 'chienlit' ou en 1984 pour la liberté fondamentale de l'enseignement" (la défense de l'école privée, ndlr).
En effet, il y a bien eu des exemples de manifestations de droite en 1968 et en 1984. Reste que ces exemples sont rares. L'idée d'une manif de droite est en fait très loin d'être une évidence. Pourquoi la manifestation est-elle si taboue à droite ? Et pourquoi la droite n’aurait-elle pas, elle aussi, le droit de manifester?
LE DÉGOÛT DU DÉSORDRE
Les manifestations, vues de droite, ça fait désordre. François Fillon est “très fier de n’avoir jamais cédé à la rue” : car la rue est assimilée au désordre, à l’informe, aux débordements et à l’incontrôlable. Il y a comme un reste de Gustave Le Bon, l’un des premiers sociologues des mobilisations, qui dans Psychologie des foules, décrit ainsi l’individu pris dans la masse des mobilisations :
“Évanouissement de la personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente, orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en actes les idées suggérées, tels sont les principaux caractères de l'individu en foule. Il n'est plus lui-même, il est devenu un automate que sa volonté ne guide plus”
Une manifestation, ça part dans tous les sens, ça ne se contrôle pas. Ca fait désordre, et le désordre, la droite n’aime pas. "Si le thème du 'racisme anti-blanc' ou l'anecdote du pain du chocolat s'inscrivaient dans le droit fil du discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy, l'appel à manifester dans la rue est en décalage avec la tradition du peuple de droite, traditionnellement favorable à l'ordre", souligne Frédéric Dabi, analyste de l'opinion à l'Ifop.
“La réforme, oui ; la chienlit, non”, a dit De Gaulle, d'après le Premier ministre Georges Pompidou, à la sortie d'un Conseil des ministres. C’est aussi, d’une certaine manière, dans cette tradition gaulliste que l’ancien président Nicolas Sarkozy se plaçait pour répondre à “la rue” qui grondait, comme pendant la réforme des retraites à l'automne 2010. “ "Une de mes plus grandes fiertés est ne n'avoir jamais cédé à la pression de la rue", avait notamment expliqué Nicolas Sarkozy le 16 février 2012 lors d'un déplacement à Annecy, en pleine campagne présidentielle. “Le courage, c'est de ne pas déchaîner la violence parce qu'on ne change pas un pays par la violence", avait-il ajouté.
LES MANIFS DE DROITE, OUI, MAIS EXCEPTIONNELLEMENT
La droite préfère généralement laisser les manifestations aux syndicats, aux sans-papiers et aux révolutionnaires. Les manifs, c’est un truc de gauche, pense-t-elle. Personne ne s’est d’ailleurs indigné, ni n’a accusé le PS d’être anti-républicain, lorsque le Parti socialiste a appelé à manifester contre la réforme des retraites en septembre 2010. A gauche, manifester est une tradition. A droite, c’est une hérésie...
...sauf cas exceptionnel, comme en 1968, où De gaulle lui-même avait appelé la majorité silencieuse, à se réveiller, pour contrer les grévistes et manifestants du cinquième arrondissement:
LE SPECTRE DE 1934
Ce qui est vu comme un droit naturel à gauche, est perçu comme un dangereux glissement à droite. La violence d’une manifestation n’est acceptable, dans l’imaginaire des Français, que si elle lui associe la bonhomie des valeurs du coeur, l’insouciance des hippies, l’élan romantique du révolutionnaire. La violence liée à la rigidité des valeurs de droite, c’est un danger, un acte contre-nature qui pousserait la droite à se changer en...extrême-droite.
Manifester, aux yeux de la droite “classique” (UMP), est un acte anti-républicain qui fleurte avec le fascisme. La droite dite “républicaine”, accepte le suffrage des urnes, comme l’a fait remarquer le porte-parole du PS, David Assouline : “On s'attaque au suffrage universel d'une certaine façon en refusant le verdict des urnes". Même Gilbert Collard, membre du Rassemblement Bleu Marine et député du Gard, qui connaît bien son Histoire de France, ne s’y est pas trompé en se demandant si Copé ne voulait pas “"reconstituer les ligues”, référence claire aux ligues antiparlementaires et antisémites qui bousculèrent la France de l'avant-Seconde guerre mondiale, et qui connurent leur apogée le 6 février 1934 où les manifestants donnèrent l'assaut contre l'Assemblée nationale:
Il n’en reste pas moins que l’histoire n’est pas un fleuve tranquille, et que Jean-françois Copé pourrait bien inaugurer, malgré toutes les critiques qui lui sont adressées, une nouvelle tradition de manifestation, dont on peut présumer qu'elle serait républicaine. Car il n'y a pas de raison qu'il y ait de priorité à gauche, comme le remarquait ironiquement le journaliste Sébastien Le Fol sur son blog du Figaro...
Aude Lorriaux

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