La manifestation de droite, un tabou? Ou pourquoi
la proposition de Copé n'a-t-elle récolté que si peu de succès…
Le récent appel à
manifester de Jean-François Copé, distancé dans les sondages par François
Fillon dans la course à la présidence de l'UMP, et qui multiplie les
propositions choc pour s'attirer les faveurs des militants, ne remporte pas un
franc succès à droite. Dernièrement c'est l’ancien premier ministre lui-même
qui a pris ses distances avec la proposition du secrétaire général de l’UMP, dans
un tweet adressé le 31 octobre à son rival pour la candidature à la présidence
de l’UMP:
Autour de Fillon, même son
de cloche. L'ex-ministre Gérard Longuet, qui soutient François Fillon pour la
présidence de l'UMP, a estimé que son rival Jean-François Copé n'avait pas eu
"sa meilleure inspiration" en appelant à manifester contre les
mesures du gouvernement. "Tout cela relève de la stratégie de campagne. Ce
qui est sûr, c'est que l'opposition ne pourra pas retrouver le pouvoir par la
manifestation", a affirmé Eric Ciotti. Plus critique, Bernard Debré a
regretté la "course à l'échalotte" de Jean-François Copé qui "se
radicalise". "Ca donne une mauvaise image de l'UMP et présente le
militant comme un gros beauf", ajoute un filloniste qui se réjouit
toutefois que son attitude "pousse des personnalités à sortir de leur
neutralité". Jean-François Lamour, conseiller UMP de Paris, a quant à lui
estimé qu’il ne fallait pas “mettre la charrue avant les boeufs”, et préféré
avoir d’abord recours au “référendum”.
Les soutiens de Copé n’ont
pas beaucoup donné de la voix, sans doute gênés aux entournures par cette
proposition. Il a fallu attendre cinq jours après cette annonce pour que se
manifestent les lieutenants du secrétaire général de l'UMP. "Jean-François
Copé a totalement raison quand il affirme qu'il faut s'opposer par tous les
moyens, y compris les manifestations, à la politique dangereuse de François
Hollande. Et cela n'a rien d'antinomique avec le fait que, durant 5 ans,
Nicolas Sarkozy a eu le courage nécessaire pour réformer la France en évitant
tout blocage du pays. Car le contexte pour l'UMP a changé", a valoir dans
un communiqué la déléguée générale de l'UMP Michèle Tabarot. Dans un communiqué
distinct, la secrétaire nationale de l'UMP Camille Bedin a rattaché la
proposition de Jean-François Copé à une "tradition" de droite en
évoquant les mobilisations "en 1968, contre la 'chienlit' ou en 1984 pour
la liberté fondamentale de l'enseignement" (la défense de l'école privée,
ndlr).
En effet, il y a bien eu
des exemples de manifestations de droite en 1968 et en 1984. Reste que ces
exemples sont rares. L'idée d'une manif de droite est en fait très loin d'être
une évidence. Pourquoi la manifestation est-elle si taboue à droite ? Et
pourquoi la droite n’aurait-elle pas, elle aussi, le droit de manifester?
LE DÉGOÛT DU DÉSORDRE
Les manifestations, vues
de droite, ça fait désordre. François Fillon est “très fier de n’avoir jamais
cédé à la rue” : car la rue est assimilée au désordre, à l’informe, aux
débordements et à l’incontrôlable. Il y a comme un reste de Gustave Le Bon,
l’un des premiers sociologues des mobilisations, qui dans Psychologie des
foules, décrit ainsi l’individu pris dans la masse des mobilisations :
“Évanouissement de la
personnalité consciente, prédominance de la personnalité inconsciente,
orientation par voie de suggestion et de contagion des sentiments et des idées
dans un même sens, tendance à transformer immédiatement en actes les idées
suggérées, tels sont les principaux caractères de l'individu en foule. Il n'est
plus lui-même, il est devenu un automate que sa volonté ne guide plus”
Une manifestation, ça part
dans tous les sens, ça ne se contrôle pas. Ca fait désordre, et le désordre, la
droite n’aime pas. "Si le thème du 'racisme anti-blanc' ou l'anecdote du
pain du chocolat s'inscrivaient dans le droit fil du discours de Grenoble de
Nicolas Sarkozy, l'appel à manifester dans la rue est en décalage avec la
tradition du peuple de droite, traditionnellement favorable à l'ordre",
souligne Frédéric Dabi, analyste de l'opinion à l'Ifop.
“La réforme, oui ; la
chienlit, non”, a dit De Gaulle, d'après le Premier ministre Georges Pompidou,
à la sortie d'un Conseil des ministres. C’est aussi, d’une certaine manière,
dans cette tradition gaulliste que l’ancien président Nicolas Sarkozy se
plaçait pour répondre à “la rue” qui grondait, comme pendant la réforme des
retraites à l'automne 2010. “ "Une de mes plus grandes fiertés est ne
n'avoir jamais cédé à la pression de la rue", avait notamment expliqué
Nicolas Sarkozy le 16 février 2012 lors d'un déplacement à Annecy, en pleine
campagne présidentielle. “Le courage, c'est de ne pas déchaîner la violence
parce qu'on ne change pas un pays par la violence", avait-il ajouté.
LES MANIFS DE DROITE, OUI, MAIS EXCEPTIONNELLEMENT
La droite préfère
généralement laisser les manifestations aux syndicats, aux sans-papiers et aux
révolutionnaires. Les manifs, c’est un truc de gauche, pense-t-elle. Personne
ne s’est d’ailleurs indigné, ni n’a accusé le PS d’être anti-républicain,
lorsque le Parti socialiste a appelé à manifester contre la réforme des
retraites en septembre 2010. A gauche, manifester est une tradition. A droite,
c’est une hérésie...
...sauf cas exceptionnel,
comme en 1968, où De gaulle lui-même avait appelé la majorité silencieuse, à se
réveiller, pour contrer les grévistes et manifestants du cinquième
arrondissement:
LE SPECTRE DE 1934
Ce qui est vu comme un
droit naturel à gauche, est perçu comme un dangereux glissement à droite. La
violence d’une manifestation n’est acceptable, dans l’imaginaire des Français,
que si elle lui associe la bonhomie des valeurs du coeur, l’insouciance des
hippies, l’élan romantique du révolutionnaire. La violence liée à la rigidité
des valeurs de droite, c’est un danger, un acte contre-nature qui pousserait la
droite à se changer en...extrême-droite.
Manifester, aux yeux de la
droite “classique” (UMP), est un acte anti-républicain qui fleurte avec le
fascisme. La droite dite “républicaine”, accepte le suffrage des urnes, comme
l’a fait remarquer le porte-parole du PS, David Assouline : “On s'attaque au
suffrage universel d'une certaine façon en refusant le verdict des urnes".
Même Gilbert Collard, membre du Rassemblement Bleu Marine et député du Gard,
qui connaît bien son Histoire de France, ne s’y est pas trompé en se demandant
si Copé ne voulait pas “"reconstituer les ligues”, référence claire aux
ligues antiparlementaires et antisémites qui bousculèrent la France de
l'avant-Seconde guerre mondiale, et qui connurent leur apogée le 6 février 1934
où les manifestants donnèrent l'assaut contre l'Assemblée nationale:
Il n’en reste pas moins
que l’histoire n’est pas un fleuve tranquille, et que Jean-françois Copé
pourrait bien inaugurer, malgré toutes les critiques qui lui sont adressées, une
nouvelle tradition de manifestation, dont on peut présumer qu'elle serait
républicaine. Car il n'y a pas de raison qu'il y ait de priorité à gauche,
comme le remarquait ironiquement le journaliste Sébastien Le Fol sur son blog
du Figaro...
Aude Lorriaux
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